I.3 Le concept de membre de la société

Pour GARFINKEL, ce concept représente la maîtrise à la fois cognitive, linguistique et sociale des pratiques de la vie quotidienne.

Les personnes sont membres d’un groupe, en fonction de leurs pratiques du sens commun et de l’utilisation du langage qui forme leur appartenance sociale.

De même que GARFINKEL compare le langage naturel au langage formel, nous pouvons opposer le fait d’être membre d’un groupe formel, au fait d’être membre d’un groupe naturel.

Le groupe formel se définit par rapport aux statuts sociaux, aux rôles des personnes dans cette communauté. A l’inverse, le groupe naturel se définirait par ses pratiques communes, son langage spécifique.

Noam CHOMSKY démontre ce phénomène en écrivant: "Nous nous regardons les uns les autres, mais nous ne nous voyons plus. Notre perception du monde s’est évanouie, il n’est resté que la simple action de reconnaître."

C’est entre autres, pour déstructurer cet état de fait que l’ethnométhodologie intervient: ainsi, être membre peut permettre de voir ce qui est implicite mais n’est pas forcément évident au premier abord.

De même WITTGENSTEIN écrit que "les aspects des choses qui sont les plus importantes pour nous, sont cachées à cause de leur simplicité."

Le concept de membre n’est pas figé. Selon chaque circonstance, on est membre de groupes différents (on peut être en même temps membre d’une secte, d’une association de cinéphiles et d’un groupe de rock).

GARFINKEL critique les sociologues classiques : "L’acteur social des sociologues est un idiot culturel qui produit la stabilité de la société en agissant conformément à des alternatives d’action préétablies et légitimes que la culture lui fournit."

L’un des principes de l’ethnométhodologie est qu’il n’y a pas d’idiot culturel. Chacun a une connaissance du monde qui lui est spécifique et/ou qu’il partage avec un groupe de personnes. Il y a, ici, un refus de jugement, de moralisation. Dans le fait d’être membre, il y a une introjection de certaines règles qui les rendent implicites, mais interviennent dans cette dynamique de groupe.

Didier ANZIEU décrit le groupe comme un ensemble organique. Sa démarche est issue de la psychologie sociale, mais l’idée de membre comme faisant partie d’un ensemble mouvant est présente.

GARFINKEL fait intervenir une autre dimension. C’est l’idée "d’ethnie d’une seule personne": elle est par nature indivisible. L’être a un regard sur le monde qui lui est spécifique et où il se crée ses règles, codes et rituels propres.

On peut être membre de soi-même lorsque l’on crée un univers qu’on est seul à déchiffrer. Ainsi, le monde que j’ai mis en place lors de ma période d’errance ne pouvait être décodé par d’autres personnes. J’étais membre de moi-même dans mes actions pratiques et le langage codé que je mettais en scène. Ainsi, "un membre est une personne dotée d’un ensemble de procédures, de méthodes, d’activités de savoir-faire qui la rendent capable d’inventer des dispositifs d'adaptation pour donner sens au monde qui l’entoure."

Parfois je me suis retrouvée en situation d’anomie, c’est à dire dans l’impossibilité d’appliquer certaines règles dans cette situation, avec l’impossibilité de la décrire.

SCHÜTZ a développé le concept de typicalité qui est un concept implicite dans les notions de membre de la société. En effet, elle marque les spécificités et les différences qui existent entre chaque groupe.

Pour l’ethnométhodologie, la notion de membre est capitale, car, à la différence des démarches inductives, elle insiste sur le fait que pour étudier un groupe, il faut intégrer l’ensemble de ses procédures, de son indexicalité, de ses savoir-faire, de ses "allant de soi."

La compréhension de ces "allant de soi" est fondamentale pour analyser ce qui se dit dans le groupe.

En hôpital psychiatrique, par exemple, l’un des "allant de soi" était la nécessité pour les patients de se soumettre au port du pyjama. Refusant de me plier à cette exigence, je réussissais à négocier la conservation de quelques vêtements. Par l’intermédiaire d’un des infirmiers qui comprenait mon point de vue, je réussis à récupérer des affaires enfermées dans une remise. Je remettais alors progressivement mes habits, pour que les autres infirmiers et la psychiatre s’habituent à me voir avec des habits, sans qu’ils marquent un refus subit de me voir vêtue en "civil". A partir d’un certain nombre d’effets personnels portés, quel que soit le membre du personnel hospitalier, on m'obligeait à me remettre en pyjama. Alors, mon processus d’habillage ponctué recommençait. Le pyjama était formellement imposé, mais il allait de soi que l’on pourrait le camoufler avec des vêtements jusqu’à une certaine limite.

L’allant de soi implicite est ici:

- "Nous voulons vous distinguer, vous, personnes internées, de nous, le personnel soignant! Nous soulignons ainsi votre statut de malade qui ne peut plus apparaître si vos vêtements personnels les dissimulent trop."

Les infirmiers de cette institution étaient en habits de ville, non en blanc. Imposer l’uniforme du pyjama leur permettait d’emblée de se distinguer des "malades".

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