DÉBATS SUR LA VIOLENCE URBAINE,
UNE AUTRE APPROCHE ET UNE AUTRE EXPLICATION
 
Avant propos, Mel Vadeker ( juin 2002 )

Une étudiante en ethnologie, engagé sur le terrain par son activité d'éducatrice sociale dans une banlieue difficile de la région parisienne, explique comment elle doit quotidiennement lutter contre certains préjugés et jugement hâtif à l'égard de la violence urbaine dans les cités. Elle critique ainsi certaines positions adoptés par certains journalistes, éditorialistes et sociologues traditionnels. Son raisonnement repose sur un constat,  par manque de rigueur et dans une faillite de la pensée à saisir un fait social global, certaines personnes véhiculent de par leur fonction dans les mass-medias et les organismes de presses des contres vérités.

Elle milite donc, à la fois sur son terrain auprès de certains jeunes marginaux et s'engage d'autre part, à chaque fois qu'elle en a l'occasion, pour faire reconnaître la possibilité d'influencer et d'éviter une forme de désinformation en instaurant une rigueur minimal d'étude et d'analyse et cela qu'on soit sociologue profane ou expert,  journaliste ou homme politique. La route de la compréhension est semé d'écueils, elle se propose d'en révéler quelque uns.

Elle travaille dans une "mission locale", lieu de rencontre et d'activité de certains acteurs sociaux, éducateurs, psychologues et bénévoles. C'est un lieu institutionnel d'intervention sociale, d'insertion et de prévention de comportements à risque d'adolescents et de jeunes adultes. Il existe des missions locales partout en France, elles peuvent être communales ou intercommunales.


Mélanie Genest ( juin 2002 )

Bonjour, vous avez présenté en gros mes activités et mon engagement. A de nombreuses reprises j'ai pris la parole pour poser une réflexion critique sur l'intervention sociale. J'ai débattu, écrit et fait des recommandations qui ont été plus ou moins bien appréciées. Je ne prétend pas connaître la solution ultime. J'essaye juste de critiquer les méthodes non efficaces de l'intervention sociale et surtout de lutter contre une désinformation larvée véhiculée facilement par certains journalistes et hommes politiques.

Mon approche critique et ma méthodologie est directement inspirée d'un courant alternatif et radical en sciences sociales, à savoir l'ethnométhodologie. Pourquoi radical me direz-vous ? Parce qu'il évite de beaucoup les jugements hâtifs et les mauvaises conclusion en instaurant une rigueur minimale de base, un doute constructif et une ouverture d'esprit sur la complexité du phénomène humain.

Je préfère donc, vous faire lire une de mes lettres que j'ai adressée il y a peu de temps à un sociologue profane qui écrit des éditoriaux dans un site internet très fréquenté. J'y explique toute ma démarche, mon attitude critique et y ébauche une réflexion sur l'art et la manière d'enquêter sur un fait social.
 

De: melanie genest
Sujet: débat sur la violence urbaine, une autre approche et une autre explication
Date: 18/05/2002

Bonjour,

Je vous ecris pour vous faire certaines critiques concernant vos articles
géopolitiques et sociopsychologique. Le problème que j'ai remarqué c'est un manque de rigueur méthodologique et votre facilité à faire des généralisations sur des cas particuliers. Peut être n'êtes vous pas au fait des débats très mouvementés qui ont secoués les sciences sociales et humaines ainsi que des problématiques épistémologiques sur la manière d'être plus rigoureux pour aborder l'étude ou l'exploration d'un fait social.

Je suis étudiante en ethnologie, j'ai donc de part mon parcours et ma démarche
une approche de terrain. Je m'appuie également sur une épistémologie
interdisciplinaire formalisée par une branche radicale et alternative des sciences
sociales : l'ethnométhodologie.

Pour faire simple et limiter mon explication c'est une sociologie qui étudie les
rationalités locales des gens, leur manière d'être au monde dans leur propre lieu
de vie. D'où le nom de cette discipline qui prête quelque fois à confusion, c'est la
science des ethnométhodes, c'est à dire la discipline qui étudie les méthodes des membres d'une communauté donnée.

C'est une approche alternative des sciences sociales, très rigoureuse, à mon sens la plus efficace, car elle prend en compte plusieurs pièges et paradoxes dans la représentation et l'interprétation par le sociologue du "fait social". Elle se décrit comme étant une sociologie "sans inductions " utilisant une approche localiste des micro-groupes ou des macro-groupes sociaux. Ses travaux les plus remarquables ont portés sur les sectes, la dénonciation des formes courantes de totalitarismes et ont donnés un regard diffèrent sur certains "faits sociaux ".

Tous ca pour vous expliquer qu'il y a une sociologie radicale qui débat souvent sur les positions classiques et les approches des sociologues dit "traditionnels". J'aurais pu intervenir plus tôt car j'ai déjà remarqué des faiblesses méthodologiques et des erreurs dans vos précédentes interventions. Vous allez peut-être penser que je vous fais la leçon, tel n'est pas mon propos, je vous fais juste remarquer certaines erreurs "techniques" et formelles.

Au sujet de votre texte sur la violence :
Vous dites :  " …mais cela ne vient à l'idée de personne. Il n'y a pas un journaliste, un psychologue, un homme politique ou un intellectuel qui aurait cette idée. La violence nous l'avons installée dans notre média numéro un, la télévision, et dans nos films…. "

Vous jugez durement sans connaître les études faites et les différents courants
de recherche. Vous faites un amalgame sur l'influence de la violence vu à la télévision ou au cinéma et la violence urbaine. Vous parlez donc d'une violence par mimétisme. Il existe cependant de nombreux cas qui contredisent votre conclusion. Le problème est beaucoup plus complexe à saisir, vous prenez là un raccourci. Il existe de par le monde, une violence urbaine ou tribale qui ne s'appuie pas uniquement sur des images violentes vues à la t.v. ou le ciné et dans certain cas il n'y même pas cette influence que vous dénoncez. Pourtant la violence vécue, véhiculée et transmise fait des ravages par d'autres biais.

Une solution pour cerner cette difficulté et de savoir comment ces actes de violence sont vécus par ceux qui les commettent et comment certains schémas moraux et principes de respect sont pervertis. En d'autres termes cela revient à explorer le système personnel de croyances de certains délinquants dans leur interaction, avec un lieu de vie, avec un groupe de délinquants ou avec des bandes organisées. Vous seriez surpris d'apprendre que l'influence de la t.v. n'est pas un facteur déterminant du passage à l'acte ultra-violent mais serait plutôt celui d'une dérive idéologique de la représentation du monde et la construction de certaines "déviances morales ".

On entend souvent, de la part d'anciens délinquants, "la génération actuelle est
beaucoup plus violente que nous l'étions " et si on cherche à savoir plus, on a
quelques indices, "nous avions, certains principes et certains scrupules. Il y avait un respect des gens et on ne pensait pas que c'était un mode de vie normal
pour nous ".
Et d'autres travailleurs sociaux vous diront à peu près ceci "les jeunes se sentent totalement excluent de la vie sociale et du monde des adultes, c'est une réaction de rejet de la société et ils s'inventent un monde à eux avec des valeurs et des règles totalement incompatibles avec la vie en communauté. C'est tout un travail pédagogique et psychologique qu'il faut faire pour les faire passer de ce mode de vie à un autre plus respectueux de la cohabitation sociale ".

Qu'est ce qu'on peut remarquer entre les deux générations de délinquants ?
Une dégradation de l'image du monde et un sentiment d'exclusion intériorisé qui
fait des ravages notamment lors du passage à l'acte de violence. L'ancienne
génération se sentait faire encore parti de la société, la nouvelle plus du tout et
adopte un comportement paradoxalement tribal et communautaire. Ils surprotègent leurs territoires, chez eux ils se sentent puissants, ce sont " les chefs " comme ils disent.

En s'appropriant un territoire, ils s'affirment car en dehors ils ne se sentent pas
existé, ni respecté. On remarque aussi, une absence d'empathie, de compassion, de sensibilité à l'égard de leur proche et de leurs victimes potentielles qui s'aggrave d'une génération à l'autre (environ 10 à 15 ans d'écart). L'influence de la violence véhiculée par la t.v. et équivalente entre ces deux catégories, elle n'explique pas la montée en puissance de l'utra-violence.

Quand j'évoque cela en faisant des citations, je ne suis moi-même pas très
rigoureuse, puisque je n'évoque ni le contexte, ni le groupe social, ni explicité
ma manière de faire ce constat, ni exposés mes outils avec lesquels j'ai approché tel groupe social pour en comprendre les pratiques. Les précautions à prendre sont nombreuses tant les dérives et les fausses conclusions peuvent être faciles. Pour convaincre et argumenter plus serieusement je devrais donner plus de details, expliciter certaines faiblesses dans mon argumentation et eviter les inductions non justifiées.

Mon but dans cette remarque est d'insister sur l'utilité d'introduire une rigueur
minimale de l'étude sociologique qu'elle soit faite par un expert ou un profane.
En effet je considère qu'un profane peut être un meilleur sociologue qu'un expert, à partir du moment où étant sur le terrain, il pourra comprendre avec plus de discernement certaines pratiques et qu'il emploiera certains principes de base.
C'est ce que préconise l'ethnomethodologie qui fait dialoguer une sociologie profane et une sociologie experte.

( ... / ... )


liens internes sur des rubriques donnant des informations complémentaires (thèses, mémoires, articles) :