Dans les champs d'honneur


Dans les champs d'honneur

Dans les champs d'honneur, on crève simplement
Comme des rats pris dans un piège sanglant.
Les roses sauvages, bavardes et obscènes,
Sucent notre sang, se nourrissent de nos peines.

La guerre mondiale, affaire de comptables,
Additionne les morts, résultats rentables.
Apocalypse en cravate, signée par les puissants
Qui jouent aux dés avec nos vies, indifférents.

Nous sommes tombés comme des mouches écrasées,
Par des doigts propres qui n'ont jamais osé
Se salir dans la boue où la raison se noie,
Pendant que les discours pompeux font grande voix.

La pensée s'est pendue au poteau sans procès,
Les généraux l'ont tuée sans aucun excès.
La défaite du sens, normale progression
D'un monde qui préfère l'ordre à la réflexion.

La tragédie humaine est un cirque étrange,
Où les spectateurs acclament quand tout se dérange.
L'apocalypse a sonné, personne ne s'égare,
On marche au pas, vers le grand tintamarre.

Guerre mondiale : deux mots propres pour dire l'abattoir,
Des corps empilés, des os broyés, le désespoir.
Des mères qui pleurent, des pères qui noient leur chagrin,
Des enfants qui grandissent dans ce monde incertain.

Ne reprenez pas ce bâton de dynamite,
Cette folie qui court, qui saute, qui s'agite.
Notre chair pourrie vous convie à connaître
Les tombes anonymes où la vérité pénètre.

Car sous ces fleurs écarlates, cocardes vaines,
Les asticots font leur œuvre, sans plainte ni peine.
Dans les champs d'honneur, mensonge criard,
Notre silence hurle ce que cache le brouillard.


Requiem sur les champs d'honneur

Ils appellent cela les champs d'honneur
Mais j'y ai vu l'honneur se faner et dépérir,
C'est la première victime qui se désagrège,
Dans la boue, piétinée sans pudeur, étranglée.

Les roses sauvages y poussent, cramoisies,
Non par nature, mais gorgées de nos sangs.
Elles survivront quand les villes seront poussière,
Avec son brouillard sur tous les continents.

J'ai vu la raison s'effondrer
À genoux dans les tranchées,
Tandis que la folie, couronnée,
Distribuait ses médailles aux borgnes du jugement.

L'apocalypse n'est pas venue sur des nuages,
Elle est arrivée de l'état-major avec ses télégrammes,
Pour culminer un jour en éclair aveuglant,
Par des mains qui n'ont jamais tremblé sous les orages
Des bombes vomissant la finalité de ses entrailles.

Quelle est cette tragédie humaine ?
Un théâtre d'ombres où personne n'applaudit,
Où les acteurs meurent réellement,
Où le rideau de cendres ne retombe jamais sur les saluts,
Mais sur le linceul drapant les fosses communes écarlates.

La guerre mondiale, encore ce refrain,
Ces deux mots toujours si infâmes,
Cachent si mal le charnier universel,
Cette symphonie profonde des râles,
L'art funéraire qui fait de la chair un décompte.

Nous ne sommes pas morts pour la vérité.
Nous sommes morts, tout simplement.
Tous les martyrs d'une série sans fin,
Témoins impuissants de cette escalade,
Où chaque paix n'est qu'un entracte
Dans le spectacle de notre annihilation.

J'ai vu des hommes pleurer comme des enfants
Pour une photographie trempée sous la pluie.
J'ai vu des lettres jamais envoyées,
Des mots d'amour devenus orphelins
Dans des poches transpercées des moribonds.
Demain, il ne restera même plus de larmes
Pour pleurer une terre devenue infertile.

Ne reprenez pas cette folie
Comme on reprend un flambeau.
Car ce n'est pas la lumière que nous portons,
Mais l'ombre éternelle d'une logique moribonde
L'absurdité faite chair, la déchéance de la morale.

Dans ces champs qu'ils osent nommer d'honneur,
Nous hurlons notre silence,
Nous murmurons l'évidence :
L'homme n'est plus un jardinier, mais le seul animal
Qui organise dans le zèle sa propre extinction
Et l'appelle Histoire ce grand anéantissement.