À propos du spectacle

sur l'indexicalité de la société du spectacle



Prenons l'exemple du terme "spectacle", utilisé par Guy Debord dans son livre "la société du spectacle".

Lorsque la définition du mot "spectacle" dérive pour devenir quelque chose d'ambigu et d'indéfinissable. Lorsque le terme contient plus que ce qu'il est sensé dire et où la variation du sens émerge des différents contextes pour proposer à chaque fois quelque chose de nouveau. Ce terme que l'on cherche à définir subit les effets d'une indexicalité.

On peut essayer de retrouver le champ lexical pour contourner toutes ces ambiguïtés et faire une représentation des définitions, ou bien se servir d'un hypertexte pour visualiser le métalangage. Il existe peut-être une infinité de définitions possibles, on est alors confronté à l'infinitude de l'indexicalité. La tentation serait de définir le terme par lui-même dans une boucle récursive, mais là aussi on subirait le même problème. Dès lors,
il est impossible de proposer une définition stable.

Un exercice sur l'indexicalité du terme "spectacle" : Si l'on devait remettre en cause le spectacle pour le transformer en profondeur, il faudrait le remplacer par quelque chose d'autre qui deviendrait peut être un nouveau spectacle. Par quel genre de spectacle peut-on remplacer le spectacle ? Que dire de l'effondrement du spectacle par le spectacle de sa propre déchéance ? Et s'il y avait d'autres spectacles au-dessus du spectacle, emboîtement de réalités et de complexités pour un spectacle du spectacle dans le spectacle ?


Guy Debord, La société du spectacle (1967), extraits


69
Dans l'image de l'unification heureuse de la société par la consommation, la division réelle est seulement suspendue jusqu'au prochain non-accomplissement dans le consommable. Chaque produit particulier qui doit représenter l'espoir d'un raccourci fulgurant pour accéder enfin à la terre promise de la consommation totale est présenté cérémonieusement à son tour comme la singularité décisive. Mais comme dans le cas de la diffusion instantanée des modes de prénoms apparemment aristocratiques qui vont se trouver portés par presque tous les individus du même âge, l'objet dont on attend un pouvoir singulier n'a pu être proposé à la dévotion des masses que parce qu'il avait été tiré à un assez grand nombre d'exemplaires pour être consommé massivement. Le caractère prestigieux de ce produit quelconque ne lui vient que d'avoir été placé un moment au centre de la vie sociale, comme le mystère révélé de la finalité de la production. L'objet qui était prestigieux dans le spectacle devient vulgaire à l'instant où il entre chez ce consommateur, en même temps que chez tous les autres. Il révèle trop tard sa pauvreté essentielle, qu'il tient naturellement de la misère de sa production. Mais déjà c'est un autre objet qui porte la justification du système et l'exigence d'être reconnu.

70
L'imposture de la satisfaction doit se dénoncer d'elle-même en se remplaçant, en suivant le changement des produits et celui des conditions générales de la production. Ce qui a affirmé avec la plus parfaite impudence sa propre excellence définitive change pourtant, dans le spectacle diffus, mais aussi dans le spectacle concentré, et c'est le système seul qui doit continuer : Staline comme la marchandise démodée sont dénoncés par ceux-là mêmes qui les ont imposés. Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l'aveu de son mensonge précédent. Chaque écroulement d'une figure du pouvoir totalitaire révèle la communauté illusoire qui l'approuvait unanimement, et qui n'était qu'un agglomérat de solitudes sans illusion.

71
Ce que le spectacle donne comme perpétuel est fondé sur le changement, et doit changer avec sa base. Le spectacle est absolument dogmatique et en même temps ne peut aboutir réellement à aucun dogme solide. Rien ne s'arrête pour lui ; c'est l'état qui lui est naturel et toutefois le plus contraire à son inclination.

72
L’unité irréelle que proclame le spectacle est le masque de la division de classe sur laquelle repose l’unité réelle du mode de production capitaliste. Ce qui oblige les producteurs à participer à l’édification du monde est aussi ce qui les en écarte. Ce qui met en relation les hommes affranchis de leurs limitations locales et nationales est aussi ce qui les éloigne. Ce qui oblige à l’approfondissement du rationnel est aussi ce qui nourrit l’irrationnel de l’exploitation hiérarchique et de la répression. Ce qui fait le pouvoir abstrait de la société fait sa non-liberté concrète.

165
La production capitaliste a unifié l’espace, qui n’est plus limité par des sociétés extérieures. cette unification est en même temps un processus extensif et intensif de banalisation. L’accumulation des marchandises produites en série pour l’espace abstrait du marché, de même qu’elle devait briser toutes les barrières régionales et légales, et toutes les restrictions corporatives du moyen âge qui maintenait la qualité de la production artisanale, devait aussi dissoudre l’autonomie et la qualité des lieux. Cette puissance d’homogénéisation est la grosse artillerie qui a fait tomber toutes les murailles de Chine.


Une définition arbitraire du "spectacle" : théâtre surréaliste de l'expression d'un capitalisme triomphant, où des marionnettes humaines sous domination d'un système de contrôle marchand, tirent les ficelles du système de production pour contrôler d'autres marionnettes humaines supposées se comporter comme des consommateurs.