Les deux énergumènes


NRphage et Tweetivore face aux contraintes du nouveau jeu de rôle multi-joueurs

 

L'humble visiteur qui aimait porter une combinaison ridicule jaune et rouge, qui ne savait communiquer que par de simples onomatopées agglutinantes, est parvenu à convaincre les deux compères de faire une balade à bord de son ovni vers la planète oxo.

C'est ainsi que se termina la vraie fiction et que commença la fabuleuse histoire du conte à dormir debout ou plutôt de la suggestion hypnotique à coucher par terre et à se rouler en boule.

C'est une histoire déroutante que l'on raconte aux enfants qui n'ont pas été sages. C'est l'histoire du vrai méchant et du faux gentil, les deux énergumènes, tout deux farceurs et fin observateurs de la psychologie humaine.

Il y avait le vrai méchant Tweetivore et le faux gentil NRphage.

Le premier, Tweetivore, compilait les phrases courtes dans son moulin à parole pour les restituer à son lectorat, ce qui lui importait c'est l'assiduité sans faille et dévorante de ses lecteurs pour de simples bribes d'informations non validées et qui servaient de chaines inductives sans fin dans une pseudo communication limitée, une nourriture spirituelle pour la machine à fantasmes. Cela lui importait peu qu'on le dénonce comme un usurpateur ou un manipulateur, ce qui l'intéressait était de faire émerger à posteriori pour une analyse d'interaction ou de conversation, tous les petits soubresauts des raisonnements et des biais de confirmation dans les constructions mentales de ses lecteurs qui étaient prêt à sacrifier la raison pour le petit frison.

Le deuxième, NRphage, recréait avec la passion d'un moine copiste du moyen-âge, des documents apocryphes aussi vrais que puissent l'être des documents appartenant au courant canonique reconnu comme constructif par les anciens correspondants. Là aussi, il faisait preuve d'une remarquable prouesse pour se coller aux attentes d'un lectorat plus large mais avec la délicatesse du copiste de talent, car il devait subjuguer plus par le style que par le contenu, et lorsqu'il y avait du contenu à exploiter, il faisait en sorte de détourner l'attention sur un souffre-douleur considéré comme fusible, afin de cacher dans un sous texte ce contenu qui se révélait lors d'un second niveau de lecture et prouvait une discontinuité avec le corpus original.

Bonne stratégie de détournement, puisque de nombreux intervenants se servaient de la même tactique du fusible, aussi bien la source canonique, les opérateurs et régulateurs de haut niveau, les intermédiaires supplétifs ou mandataires, les sources apocryphes, et tous les autres faussaires. C'était une pratique qui pouvait paraitre loufoque mais d'une profonde logique après tout. Tout ce beau monde était dans le même bateau, les uns empêchant les autres de couler, les supporteurs et les lecteurs faisant office de machine vivante dans ce processus de transfert d'information de cerveau à cerveau. En bas de l'échelle, ils ramaient comme des damnés pour faire avancer la galère dans ce formidable jeu multi-joueurs persistant échafaudé à plusieurs mains et qui s'emboitait à plusieurs niveaux de complexité comme des poupées russes. Il y avait différentes phases et niveaux de jeu, à accès limités ou réservés et d'autres niveaux pour les expérimentations et les diverses interventions de laboratoire.

Il y a avait des intervenants qui malheureusement ne trouvaient pas la farce à leur gout, ils poussaient des cris d'orfraie en psalmodiant des conjurations, la même litanie revenait sans cesse, ils disaient que c'était à la fois une histoire de fou, de psychiatrie et de production scientifique, que l'on avait dépassé de loin toutes les limites du bon sens, bafoué sans vergogne la rigueur et la méthode pour élaborer différences facettes de la preuve, qu'elle soit à charge ou à décharge. Ceux-là aussi participaient à ce jeu, comme pouvait l'être les réfractaires, les indécis et tous les autres protagonistes qui participaient indirectement dans d'autres boucles de rétroaction.

D'autres intervenant étaient prêt à des concessions pourvu qu'ils soient dans la confidence et désireux de conserver avec eux quelques secrets bien savoureux. Et d'autres encore s'agitaient dans tous les sens à la recherche de pistes et de secrets cachés, les poches pleines de bobards et de théories, ils gesticulaient en criant Eureka ! Eureka !  S'extasiant devant leur propre intelligence et leur splendide ingéniosité lorsqu'ils pensaient percer des mystères irrésolus. Ceux-là étaient toujours motivés pour prodiguer des conseils à n'en plus finir, vendant à tour de bras et à qui voulait bien leur acheter, des matériaux prédigérés et reconditionnés selon leur conviction, pourvu que cela leur serve de tribune pour assoir une notoriété publique et une posture d'autorité.

Il y avait aussi les amateurs éclairés qui faisaient en sorte d'observer silencieusement une expérience de laboratoire sur des cobayes vivants sous emprise de la force d'attraction d'une prose qui avait le gout de l'ailleurs, qui ressemblait à l'ailleurs mais qui n'était pas censé contenir de l'ailleurs en apparence.

Enfin il y avait toutes les petites mains qui faisaient des petites entorses à la rationalité, mettaient la main à la patte pour faire tenir l'édifice afin qu'il ne s'écroule pas et sachant pertinemment que le château de carte reposait sur des fondations instables.

Le cadre étant posé, les types de joueurs identifiés, ce jeu interactif se poursuivait sur plusieurs cycles, et cela pouvait continuer sans heurts pour un temps indéterminé, avec des régulations internes, l'apport de nouveaux joueurs et contributeurs, avec la création de niveaux supplémentaires dans l'emboitement des scenarios, des expérimentations et des descriptions. Chacun recyclant les résultats des échelons supérieurs pour les incorporer aux éléments de génération de scenarios des niveaux inférieurs, jusqu'à aboutir au plus bas de l'échelle dans une formidable boucle de rétroaction, en partant du premier pour revenir au dernier maillon, vers tous les types de lecteur potentiel, rédacteur, commentateur, détracteur, complaisant, intervenant direct et indirect ainsi que l'entourage relationnel proche des individus pris pour cible.

Tout allait bien dans le meilleur des mondes, tout le monde y trouvait son compte dans le mesure ou les variables d'ajustements étaient parfaitement utilisées pour maintenir la bonne cohésion de l'ensemble, jusqu'au jour où les deux énergumènes décidèrent de bruler les étapes et de jouer leur propre partie à eux deux. Ce qui ne pouvait pas rester sans répercussions sur les niveaux de jeu intermédiaires, inférieurs et supérieurs. Les deux énergumènes décidèrent de pousser le scenario et d'y ajouter des éléments de leur fabrication, de faire en sorte de le pousser à son extrême limite mais sans en élargir le support formel et le contexte de génération, ni faire participer les niveaux supérieurs, ce qui a terme n'était pas très constructif. Ils étaient pris dans une sorte d'euphorie créative et de réussite interactive car ayant participé à de nombreux ateliers pour améliorer leur performance -- ce qui n'était pas un mal du moment qu'une rétroaction de recadrage était maintenue -- mais ils pensaient être capable de s'en passer, en contournant la régulation, ils se sentaient pousser des ailes.

Le problème commença à se poser lorsqu'ils se servirent du recadrage formel pour entretenir leurs propres scenarios, les deux énergumènes n'avaient pas de stratégies sur le long terme, ils ne faisaient que se fier aux éléments fournis par un régulateur du niveau supérieur, mais cela ne suffisait pas. Dans un deuxième temps, toujours pour minimiser les répercussions, on demanda au fusible d'intervenir, en limitant sa propre participation de rétroaction positive et en lui donnant comme nouveau rôle celui de disrupteur, ce qui allait à l'encontre de sa première mission de protection des éléments du système. C'était à la fois inédit mais aussi un cas d'école, tout reposait sur la simple action protectrice ou disruptive d'un fusible, protéger l'existant ou détruire les niveaux de scenario trop instables ainsi que la viabilité les joueurs associés.

Comment cela pouvait-il se planifier ? Les règles du jeu étaient connues dans le cadre interne de la participation au jeu de rôle multi-joueurs, plusieurs niveaux de jeux étaient emboités les uns sur les autres, les niveaux supérieurs connaissaient les identités des joueurs des niveaux inférieurs mais pas le contraire, la hiérarchie de construction était préservée. Le fusible était hors cadre du jeu, il n'obéissait à aucunes règles connues des joueurs, il devait servir de relais de transmission externe, comme support de référence durable et persistant en cas de problème et de réaction en chaine. Et voilà qu'on le priait de faire du recadrage et du ménage pour le bien de tous, ou plutôt pour la poursuite dans le meilleur des mondes de la grande expérience cosmique multi-joueurs.

Ce qui fut fait avec une simplicité enfantine, le fusible donna des éléments informationnels de recadrage aux deux énergumènes qui s'en servirent comme éléments de construction de leurs communications, ce qui ne surpris personne mais qui amena subrepticement un recadrage sous une forme stylistique et métalinguistique avec des pièges abscons et des sous-textes à interpréter, qui seraient autant de bombes informationnelles qui pouvaient se déclencher au moment où le fusible le jugerait opportun. Les deux énergumènes étaient sous l'influence d'un simple fusible, qui n'était pas là pour jouer.

Le problème qui restait à résoudre était de savoir comment se comporteraient les deux énergumènes face à cette anomalie informationnelle et auto replicatrice qui agissait hors cadre de référence connu. Le fusible avait tout son temps, il n'était pas pressé, pour prouver sa capacité de résilience et sa stratégie sur le long terme, il leur laissa tout le temps nécessaire pour apporter les ajustements nécessaires, un délai de plusieurs années à partir du dernier rapport de contrôle. Cela devenait une étude de cas de tout ce qui ne tournait pas rond dans le processus de génération de méta scénario à partir du cadre formel et canonique original.

C'est ainsi que le délai arrivait à expiration sans que véritablement rien ne change fondamentalement dans la nature humaine. Tout le monde avait profité de cette période d'accalmie pour tirer son épingle du jeu. Les deux énergumènes sévissaient mais de façon plus polyvalente, ayant fait école, ils firent émerger de nombreux clones et copycat. La source dite canonique de première génération n'est jamais intervenue directement, sa première mission accomplie, elle investit d'autres terrains de recherche, elle laissa son rôle vaquant à d'autres régulateurs et intermédiaires plus proche de la nature humaine et plus apte à en comprendre les travers et les bassesses.

Le jeu pouvait reprendre à condition d'élargir le cadre conceptuel d'origine sans le renier pour y intégrer les éléments de compatibilité et d'inter-operatibilité avec des univers différents, afin de construire des interfaces et faire participer de nouveaux joueurs, ce qui ne limitait pas les actions des anciens joueurs mais les enrichissaient. Une ingérence de haut niveau et de courte période fut ouverte pour introduire un protocole plus ouvert à destination de la communauté des joueurs, avec de nouveaux procédés de restitution et de collecte de données.

Mais cela constitue une toute autre histoire, avec là aussi des conflits, des résistances, des reconfigurations, et des règlements de comptes, dans les zones intermédiaires et de bas niveau, à proximité des cibles et des environnements d'étude, au plus près du terrain. Il n'y a jamais eu de nuisance, ni de malveillance à l'origine de ce protocole, pas plus que de perte de contrôle ou de pétage de plomb. Ce qu'il faut se rappeler c'est que c'est durant cet élargissement conceptuel que les deux énergumènes en profitèrent pour reprendre leur envol, tout à recommencé pendant cette phase de turbulence.

Le temps a passé mais rien n'est tout à fait terminé, comme un retour de flamme vers les deux énergumènes, le fusible peut décider à tout moment de cesser sa fonction hors cadre et de s'extirper du mécanisme de protection. Tout le mécanisme génératif serait révélé ainsi que les identités des joueurs facétieux et maladroits, ce serait le retour à une nouvelle période de reconfiguration et de refondation. D'autant plus que des avertissements, conseils, méthodes, et évidences furent éparpillés, morcelés et subtilement reformulés comme des contributions de divers intervenants pour préparer cette éventualité. Ce retour de flamme, cette rétroaction favorisée par la source canonique, si elle devait arriver, serait considérée comme un bienfait pour certains et une source de grands tourments pour d'autres. Le jeu se poursuivrait malgré tout avec un nouveau cadre de références et en intégrant de nouveaux joueurs.