1.3.2.2.- Le réseau.
C'est à partir de 1957 que l'on peut dire que le groupe se constitue réellement à l'UCLA, avec l'organisation par Garfinkel et Cicourel de nombreux séminaires, la constitution d'un réseau d'étudiants, le début de la dissémination dans d'autres universités (Harvey Sacks à Berkeley), mais les travaux des ethnométhodologues ne sont que peu ou pas reconnus, et ils ne disposent d'aucun financement particulier.
La publication de ce qui est considéré comme le premier texte important des ethnométhodologues [Cicourel 1964] marque l'apogée de cette nouvelle étape. Le groupe, qui à cette époque comprend environ 35 personnes, y compris environ 25 étudiants, se structure autour de trois leaders intellectuels (Garfinkel, Cicourel, et dès 1966, Sacks) et d'un organisateur (Cicourel). Vers 1965-1966 sont élaborés plusieurs projets, financés, entre autres, par l'Air Force Office for Scientific Research. On voit apparaître de nouveaux noms qui deviendront importants : Zimmerman qui arrive à Santa Barbara en 1965 avec Davis Sudnow et Kenneth Jennings. Jusqu'en 1966, les préoccupations du groupe sont dominées par l'étude de la rationalité dans la vie quotidienne, avec les travaux de Garfinkel sur le comportement et l'activité des jurés dans un tribunal, la logique du comportement des déficients mentaux, et les problèmes de prévention des suicides.
Ces études amènent progressivement le groupe à remettre en cause l'une des bases de la sociologie pendant les années 50 et 60, à savoir qu'il existe un système stable de symboles et de significations partagé par tous les membres d'une société. Ce qui fait, par exemple, que, lors des enquêtes, les sociologues ne se préoccupent absolument pas des différentes interprétations des questions posées que peuvent faire les personnes interrogées, considérant seulement les données recueillies. Ce problème est clairement posé dans [Cicourel 1964]. Ce qui amène d'autres questions et, en particulier, comment l'interviewé, considéré comme un acteur, fait-il pour savoir ce qui est attendu de lui dans l'interview et comment choisit-il, parmi les différents personnages possibles celui qu'il va mettre en avant ?. Existe t'il des méthodes utilisées par les interviewés qui puissent être mises en évidence, parce qu'apparaissant chez de nombreuses personnes.
Ainsi donc, l'accent est mis par les ethnométhodologues non pas sur l'activité ou la description de l'activité mais plutôt sur les processus qui permettent à chacun de gérer la production et le maintien d'un ordre social. C'est là que se situe la première rupture avec la sociologie "traditionnelle", et que commencent les premiers malentendus. Alors que Garfinkel, dans la préface des studies, insiste très lourdement sur le fait qu'il ne remet pas en cause le soin, ni l'honnêteté de ses confrères lorsqu'ils réalisent des enquêtes sociales, et qu'il place la critique sur le terrain de l'épistémologie, [Garfinkel 1967], les ethnométhodologues commencent à s'attirer les foudres de tous côtés. Autre malentendu, la thèse souvent relancée que les ethnométhodologues confondent l'activité sociale et la description de l'activité sociale. Un recensement des contresens faits sur les textes de Garfinkel par les différents commentateurs a été réalisé [Peyrot 1982].
Parallèlement aux préoccupations de Garfinkel, deux autres pôles de recherche se dessinent à Berkeley autour de Cicourel, qui s'intéresse à la relation entre l'acquisition du langage et les capacités d'interprétations, et autour de Sacks qui travaille sur l'analyse de dialogues. Jusqu'en 1966, ces trois axes resteront relativement disjoints. [Mullins 1973] note qu'à ce moment le développement du groupe dans sa phase de réseau est en train de se terminer et qu'il présente de fortes analogies avec d'autres groupes étudiés en biologie moléculaire : un dogme puissant (la prééminence du savoir utilisé quotidiennement sur tout autre savoir), un fort rejet de la part des disciplines parentes et une importante circulation de documents de base quasi uniquement à l'intérieur du groupe. A ceci s'ajoute le fait que le groupe dispose d'une organisation sociale et intellectuelle forte, un programme de cours et de recherches, ainsi que quelques publications reconnues.