1.3.2.3.- L'amas.

C'est autour de l'Université de Santa Barbara et de Berkeley que se développe l'étape suivante dont Mullins dit qu'elle passe alors du groupe à l'amas entre 1966 et 1971. En effet c'est à Santa Barbara que travaille désormais Cicourel. Il mène dans cette université une importante activité d'enseignement, assisté de Don Zimmerman (qui fait beaucoup d'exégèse) et de Lawrence Wiedner (qui enseigne l'introduction à l'ethnométhodologie), deux de ses anciens étudiants. C'est dans les cours de Zimmerman que sont lus les premiers manuscrits des studies de Garfinkel.

Cicourel, pour sa part, anime les travaux de recherche. Il encourage de nombreux étudiants à utiliser leur histoire personnelle dans leurs activités de recherche. Ainsi en est-il de Boese, qui a été élevé par des parents sourds, et qui écrira une thèse en 1968 sur le langage des signes (non publiée mais qui fera l'objet de publications dérivées : [Cicourel et Boese 1972, 1974]). Ou encore de Shumsky, qui anime un centre de rencontres à Los Angeles et qui publiera des travaux sur l'évolution de ce groupe [Shumsky 1971]. Une douzaine de diplômes seront délivrés en 1970-71, principalement à Santa Barbara.

De nombreux échanges d'étudiants on lieu entre Santa Barbara et UCLA où travaille toujours Garfinkel. Quelques uns vont également à Irvine (Brooks, MacAndrew) où a été nommé Sacks et où est en train de se constituer un nouveau pôle. Un phénomène plus important que la constitution d'un groupe est en train de se produire dans cette dernière université : l'ouverture à l'extérieur. Sacks et ses travaux intéressent en particulier les anthropologues cependant que quelques sociologues (J.Kitsuse, Alan Blum, Thomas Wilson, Jack Douglas) commencent à soutenir les ethnométhodologues. En particulier, Wilson est l'auteur d'un des premiers papiers critiques importants [Wilson 1970]. Cicourel, qui a conservé des relations avec les milieux de la linguistique, est appelé à travailler sur des simulations informatiques de dialogues en langage naturel.

La croissance du nombre d'étudiants et des publications s'accélère. Le groupe dépasse les cinquante personnes en 1970, les publications passent de 7 à 14 par an entre 1968 et 1971. Les tableaux de relations ci-joints (source : [Mullins 1973], établis à partir des remerciements, co-citations, et co-rédactions présents dans une quinzaine d'articles publiés entre 1970 et 1971 ) montrent que les différents groupes sont fortement reliés entre eux.

C'est à partir de 1967 que les attaques de l'extérieur deviennent plus dures. En 1967, la question est posée de savoir si Garfinkel va être autorisé à continuer d'adhérer à L'American Sociology Association. En 1968, L'American Sociological Review publie une critique dure des studies [Coleman 1968]. Plus concrètement encore, à Santa Barbara, une guerre interne à l'Université oppose les ethnométhodologues et les sociologues "classiques", qui porte, comme nombre de guerre interne à un campus, sur les postes, les crédits de fonctionnement, les programmes d'enseignement, l'admission des étudiants, la représentation dans les instances locales de direction, etc.

Les revues installées (American Journal of Sociology, American Sociological Review, Social Forces ) ne publient que très peu de leurs articles, obligeant les ethnométhodologues à diffuser eux-mêmes leurs papiers, par photocopies et courriers personnels envoyés par le Département de Sociologie de Santa Barbara aux chercheurs externes au groupe. Cela leur vaudra d'ailleurs, plus tard, d'être accusés, par ceux-là mêmes qui leurs ferment les portes des revues, de pratiquer une dissémination sélective et confidentielle d'information, incompatible avec un comportement de scientifique digne de soi [Coser 1975], [Zimmerman, 1976].

Mais c'est aussi à partir de 1967 que sont publiés les travaux fondateurs de l'ethnométhodologie [Sudnow 1967], [Garfinkel 1967], [Cicourel 1968], [McHugh 1968], [MacAndrew 1969]. En 1970, Jack Douglas est devenu l'anthologiste de l'ethnométhodologie, en particulier par sa collection d'ouvrages traitant explicitement de cette discipline et regroupés sous le nom de "Understanding every day's life ".