1.4.4.- Expression indexicale (n.f. ; en anglais indexical expressions)

Dans [CEMS 1984], page 19, Bernard Conein dit :

"La définition de ce que l'on doit entendre par expression indexicale est donnée dans les Studies, dans le chapitre 1, et reprise sous une forme plus élaborée dans l'article de [Garfinkel et Sacks 1970]. Ces deux textes insistent sur trois caractéristiques de ces expressions :

a) Ce sont des expressions dont la signification ne peut être donnée sans recours à des éléments liés au contexte pragmatique (espace, temps, sujets présents, objets présents).

b) Chaque fois que le contexte pragmatique change, la signification de l'expression change, car, dans chaque contexte elle se réfère à des états de choses différents.

c) Ces expressions comportent des indicateurs réflexifs sans valeur descriptive, les déictiques et les index qui marquent la dépendance contextuelle. (Une note renvoie au fait que, suivant les auteurs, le nom donné à ces index change : "expressions occasionnelles" chez Quine, "embrayeurs" chez Jacobson, etc.)

En présentant ces caractéristiques, ils reprennent le constat fait par Tarski et Bar Hillel : elles sont non seulement des propriétés propres à des expressions, mais propres au langage naturel en tant que tel (langage naturel s'opposant ici à langage formel ou langue formulaire). On passe dès lors d'une indexicalité localisée à une indexicalité généralisée, toute expression produite en langage naturel comportant un composant indexical. Ce qui veut dire que l'indexicalité n'est plus seulement une propriété de certaines expressions, mais du langage naturel".

La notion d'indexicalité est tellement centrale, dans l'œuvre des ethnométhodologues, qu'il m'a paru important de la préciser, en particulier à partir du texte ci-avant. Il est bien clair que l'auteur du texte cité, de même que Garfinkel, ont de l'indexicalité une image bien plus précise que ce qu'il en est dit ci-dessus (voir en particulier [Conein 1985], page 129 et [Pharo 1985], page 131).

Prenons pour exemple une formulation dans un langage artificiel : un programme écrit en LISP. Dans ce langage de programmation, cette formulation décrit un objet : le raisonnement qui permet, partant d'une situation donnée, d'arriver à une autre situation. Chaque élément, segment, forme graphique de cette formulation, est une référence à un autre segment, ou ensemble de segments, également exprimé dans le même langage de programmation.

On peut remplacer tout segment par le ou les segments auxquels il fait référence, car, par construction même du langage, l'égalité permettant le remplacement est connue de tous (le programmeur et la machine entre autres). Par remplacements successifs, on peut ainsi montrer l'identité totale et unique de n'importe quelle expression en LISP, avec une formule de base, constituée uniquement des racines du langage, c'est à dire des quelques mots (deux ou trois) qui forment les postulats du langage. En LISP, ces quelques mots sont les fonctions CAR (l) qui ramène le premier élément de la liste "l", CDR(l) qui ramène le reste de la liste "l" lorsqu'on lui a retiré son premier élément, et dont les définitions incluent la notion de NIL, la liste vide de tout élément. Une partie des mathématiques est, de même, exprimée dans un langage formel qui repose sur le postulat d'Euclide (par deux points, on ne peut faire passer qu'une seule droite), c'est à dire que n'importe quelle démonstration, exprimée dans le langage formel, peut se ramener, par remplacements successifs, au postulat.

Il existe des expressions dans certains langages formels, et en particulier en LISP (c'est même l'une des caractéristiques de ce langage formel), qui répondent parfaitement aux caractéristiques énoncées dans le texte de Conein présenté ci-dessus. Une expression en LISP ne peut généralement pas être interprétée sans recours à des éléments liés au contexte pragmatique sur l'espace (une expression peut ne pas avoir la même signification, i.e. ne pas ramener la même valeur, suivant les endroits où elle est dans l'espace du programme), sur le temps (une expression voit sa valeur changer avec le temps qui passe), sur le sujet (la valeur d'une expression sera fonction de la façon dont elle a été invoquée et de la fonction qui l'a invoquée. Cela s'appelle, par exemple, un programme automodificateur), sur l'objet (une expression ne ramène généralement pas la même valeur quand elle s'applique à des données différentes).

Par construction même des automates capables d'interpréter LISP, chaque fois que le contexte pragmatique change, la signification des expressions changera. Et, enfin, également par construction des automates interpréteurs de LISP, une expression LISP est toujours formée, même si cela n'est pas visible pour le programmeur, d'un ou plusieurs déictiques sans valeur descriptive (c'est la forme graphique de l'expression : les arguments paramétriques et parfois même le nom de la fonction, cf. les lambda-expressions) et des index qui marquent la dépendance contextuelle.

Ce n'est donc pas seulement dans les trois caractéristiques des expressions indexicales énoncées dans le texte cité que se situe la différence entre les langages formels et les langages naturels. La différence réside également dans une autre caractéristique de l'indexicalité des langages naturels : c'est son infinitude (voir l'article "infinitude des indexicalités").