2.3.4.- Exemple de fonctionnement de la méthode proposée : l'observation de la demande en 1988 des traducteurs professionnels français pour des systèmes de TAO

Ce qui suit n'a pas d'autre prétention que de montrer quelques unes des possibilités de la méthode de description du domaine que nous proposons. Bien que les données de base soient parfaitement exactes et correspondent à un échantillon tout à fait représentatif d'un domaine des industries de la langue, il convient cependant de conserver à l'esprit que l'enquête dont il est ici sujet n'avait pas été réalisée en vue de modéliser le domaine des industries de la langue dans le contexte précis de l'élaboration d'une politique de l'innovation et donc aurait certainement été menée de façon différente si tel en avait été l'objectif.

Les données proviennent initialement des fiches d'inscriptions au Colloque de l'UNESCO sur la traduction assistée par ordinateur qui a eu lieu à Paris au printemps 1987. A ce colloque assistaient 500 traducteurs professionnels contactés par l'intermédiaire de leurs syndicats. On peut considérer qu'une très grande partie des traducteurs professionnels français étaient dans la salle, puisque la profession est estimée au total à moins de 3 000 personnes dont plus des trois quarts ne travaillent qu'à temps partiel et ne sont pas syndiqués. Le taux d'inscription sur les envois postaux réalisés à partir des listes des syndicats professionnels et de divers autres fichiers a été de plus de 30%.

L'échantillon des traducteurs présents au colloque se décrit lui-même comme suit :

indépendants : 40%

en entreprises : 29%

en agence : 5%

autres : 26% (ce sont principalement des enseignants et des chercheurs)

Leurs activités de traduction se passent principalement :

à partir de vers pourcentage

anglais français 38

allemand " 25

espagnol " 12

arabe " 3

italien " 2

russe " 7

portugais " 3

japonais " 7

divers " 4
 
 

français anglais 35

" allemand 24

" espagnol 15

" arabe 6

" italien 5

" russe 4

" portugais 3

" divers 8

On voit ici apparaître la classique position dominante de l'activité de service sur quatre langues (français, anglais, allemand et espagnol). Il serait évidemment intéressant de faire la même enquête dans d'autres pays en Europe.

Examinons maintenant des listes de mots. Tout d'abord, la liste des domaines d'activité les plus cités par les traducteurs :

Pourcentage

de citations Domaine

26 Informatique-électronique

15 Chimie-biologie

14 agro-alimentaire

12 métallurgie

9 mécanique

8 nucléaire

6 armement

5 pétrole

5 bâtiment

5 aéronautique

5 matériel médical

Cette liste est intéressante parce qu'elle casse l'idée préconçue que le l'activité de traduction est proportionnelle à l'activité du pays à l'export. Ainsi l'aéronautique qui demande d'énormes documentations et qui est l'un des premiers postes français à l'export est mal placée parce que le besoin de traduction est limité par le fait que l'anglais est très largement pratiqué directement par les acteurs du domaine.

Cette liste peut venir en complément de la précédente pour montrer où est le marché potentiel de la TAO. Mais tel n'est pas l'objet de l'exemple. Le problème est de savoir ce qu'est, pour un traducteur, le système de traduction assisté par ordinateur :

- pour 86% d'entre eux, c'est un système de THAO

- pour 55% d'entre eux, c'est un système de TAAH

- pour 40% d'entre eux, ce n'est pas un système de THAO

- pour 6% d'entre eux, ce n'est pas un système de TAAH

Voilà une information intéressante : pour les professionnels, SYSTRAN n'est pas un système de TAO et LOGOS en est un...

Continuons maintenant pour arriver au noyau de la méthode. Le problème principal est, bien évidemment, de parvenir à hiérarchiser les fonctions linguistiques que sera peut-être capable un jour de remplir un automate. La question porte sur les automates de manipulation de bases de données terminologiques. Il est demandé aux traducteurs de dire comment ils feraient le plus souvent pour chercher un mot dans un dictionnaire électronique, s'il en existait un qui ait toutes les fonctionnalités suivantes. La liste des propositions est reprise d'une étude qui avait été faite en 1985 par la société ERLI pour le compte du ministère français de la recherche :

1.- En interrogeant par un ou plusieurs mots composant le terme ou supposé tel :"soudage bombardement" ;

2.- A partir de termes synonymes du terme effectivement recherché : "soudage à faisceau d'électrons" ;

3.- Par combinaison de 1 et 2, c'est à dire en cherchant par l'un des mots composant un terme synonyme "soudure" ;

4.- Par une autre langue que celle du terme recherché :

"electron beam welding"

"beam welding"

5.- Par voisinage

5.1.- Spécifique/générique

"soudage par fusion/soudage électrique"

5.2.- rapport analogique

"soudage à l'arc"

5.3.- Rapport du tout à la partie

"faisceau d'électron"

6.- A partir de la définition de termes voisins :

"le soudage à l'arc utilise l'énergie électrique..."

7.- A partir de textes qui traitent du sujet : articles, notices...

Les tableaux donnés en annexe résument les réponses obtenues. Ce qui ressort principalement de ces tableaux, c'est que deux modes seraient très majoritairement utilisés par les traducteurs : le mode de recherche par composants et le mode de recherche par textes qui traitent du sujet. Ainsi donc, par une exploitation simple du discours des professionnels, on peut déterminer une image des fonctionnalités attendues d'un système de manipulation de bases de données terminologiques. Un travail analogue étant fait d'une part sur les fonctionnalités décrites dans la documentation commerciale et, d'autre part, sur les fonctionnalités effectivement opérationnelles, permet de fournir non seulement la description hiérarchisée des attentes du marché, mais également l'image de ces attentes chez les vendeurs et des possibilités réelles des automates. L'avantage énorme de ces différentes images est qu'elles sont tout à fait comparables entre elles et, surtout, que les discours sur les objets collent parfaitement à la réalité, puisqu'ils sont issus directement du discours des traducteurs professionnels sur leurs outils de travail. Rien n'interdit de faire, par le même procédé, un "zoom" dans des groupes particuliers de traducteurs : ceux qui travaillent dans un couple de langues donné, ceux qui travaillent dans une entreprise donnée, ceux qui travaillent dans un secteur industriel donné.