1.7 - Réflexivité
 

La notion de réflexivité, nous ramène à la notion d’indéxicalité indissociable selon Garfinkel.

La réflexivité est, avec l’indexicalité , constitutive du langage et des descriptions du monde que je produis: si je décris une situation , je contribue à la constitution de la situation que je suis en train de décrire. Un Journaliste reporter qui décrit l’évenement en cours, s’il le fait pour une émission en direct contribue à la production de cet événement. Il fait partie de cet événement " Dans la pratique ethnographique l’observateur participant contribue à produire par ses descriptions et son action la situation qu’il décrit (Schwartz et Jacobs 1979: 53-54) ".

La réflexivité désigne donc les pratiques qui permettent de montrer que l’action et la situation sont inextricablement liées , indissociables. Elle permet donc de décrire le cadre social et qui le décrivant le constitue. On perçoit donc combien l’interaction et la description de l’ordre social et l’existence même de celui-ci est constante.

Exemple : lorsque je prends ma place dans une file d’attente qui se constitue, je contribue activement à la constitution de cette file. Mais je suis en même temps tenu de rester à ma place par cet ordre que je contribue à constituer: Sans moi et bien sûr, sans tous ceux qui attendent l’autobus avec moi, il n’y aurait pas de file d’attente. Par mon arrivée et par mon installation dans la file, je participe activement à son institution et je suis en même temps institué par elle , soumis à sa règle dont je suis l’un des instituants.

Au contraire de la sociologie classique qui considère que l’action et la situation sont deux choses distinctes que l’on peut décrire séparément , l’ethnométhodologie s’attache à montrer que nulle action est indépendante de la situation dans laquelle elle évolue et réciproquement. En fait, cette situation apparaît en quelque sorte comme un sous-ensemble du contexte.

La figure ci-dessous est une représentation qui nous a été donnée par le professeur Lecerf pour illustrer cette réflexivité. Figure qui apparaît tantôt concave , tantôt convexe mais dont les deux parties sont étroitement liées .
 
 

Ce graphisme peut-être interprété soit comme le contour d’un vase , soit comme deux visages tournés l’un vers l’autre. Il n’y a qu’une seule chose sur le papier mais nous pouvons y voir deux objets différents. Si nous décrivons un des visages que nous avons vus, nous avons de haut en bas, un front, un nez, une bouche, un menton, un coup. La même ligne peut donc représenter un profil de visage ou le flanc d’un vase.

Mais toute modification d’une partie de la figure entraînerait la modification de l’autre. Ce qui permet d’expliquer plus facilement qu’un individu ne peut décrire une situation sans que celle-ci ne renvoie à l’individu lui-même, à son mode d’organisation.

Passionné depuis quelques année déjà par ces grands criminels, je me suis intéressé à quelques cas comme celui de Jeffrey Dahmer (15) qui reste encore aujourd’hui une énigme pour les psychiatres. De Juillet 1978 à Juillet 1991 Jeffrey Dahmer fut reconnu coupable d’avoir assassiné dix-sept jeunes hommes, Mais ce qui nous intéresse ici n’est pas la façon dont il commit ses différents meurtres mais la façon dont il en fit la description. Comme le souligne Y.Lecerf " Au total la description , qui est donc dans la personne , est aussi un miroir de celle-ci " (16) . Lorsque Jeffrey pris la parole lors de son procés son attitude, la description des faits, fit apparaitre , qu’il ne semblait pas en pleine possession de ses moyens.

Garfinkel dans les studies, nous parle du caractère " incarné " et réflexif des descriptions. Incarné car elle est une partie constitutive de la personne, réflexives parce que cette description renvoie à cette personne et à son contexte.

"  De toute personne difficile on peut se demander : Est-elle mauvaise ou folle ?? "
" Ce type était ostensiblement mauvais dans son comportement , mais si nous envisageons le contexte , il y avait de la folie ". (17)

D’autres courants comme celui de l’ anti-psychatrie emprunteront cette notion fondamentale à la phénoménologie.

" De même, si vous êtes assis en face de moi, je puis vous voir comme une personne pareille à moi - ou sans que vous changiez ou fassiez quoi que ce soit , comme un système physico-chimique complexe, c’est à dire non plus comme une personne mais comme un organisme . Traduisons cela dans le langage de la phénoménologie existentielle: l’autre , selon qu’il est vu comme une personne ou comme un organisme , est l’objet de différents actes intentionnels. Il n’y a pas dualisme au sens de coexistence de deux essences ou substances différentes dans le même objet , psyché ou soma - mais deux Gestalt expérientielles différentes, personne et organisme " D.D. Laing (18)

Cette notion de réflexivité apparaît donc comme un concept clé de l’ethnométhodologie puisqu’elle oblige l’ethnométhodologue à considérer le contexte et l’action dans un même moment , en observant comment ils fonctionnent simultanément et en interaction. Sans jamais être dissociés.


(15) Jeffrey Dahmer : Le monstre de Milwaukee (Crimes et Enquetes) Edition J’ai lu 1993.
(16) Lexique Ethnométhodologique /Y.Lecerf (Pratique de formation)
(17) Citation d’Ashok Bedi  , Docteur à l’hopital Psychatrique du Winsconsin , à propos de Jeffrey Dahmer.
(18) Donald D. Laing : Le moi divisé Page 19-21.