Pratiques de formation (analyses), Ethnométhodologies, ( Université de Paris VIII), 1985.

numéro spécial de la revue Pratiques de formation, numéro double 11-12.

Sommaire du numéro 11-12
 
3,2 - LES SOURCES EUROPEENNES DE LA PENSEE ETHNOMETHODOLOGIQUE

(par Joseph Sumpf)

Le mot même d'ethnométhodologie introduit une distance qu'il nous faut d'abord inventorier :

1) La distance :

Nous nous trouvons avec l'ethnométhodologie devant le fait suivant : un individu nommé Garfinkel, s'exprimant en américain, travaillant sur un terrain américain, nous interpelle à un niveau universel. Garfinkel in Studies in ethnomethodology dit : " I use the termethnomethodology to refer to the investigation of the rational properties of indexical expressions and other practical actions as contingent ongoing accomplishments of organized artful pratices of every day". Cette définition comprend une double dimension : celle de la rationalité d'une part, celle de la contingence, de l'art, de la vie d'autre part.

II est donc affirmé qu'il y a une rationalité du contingent. Cette affirmation fait de la différence de langues une distance en ce sens qu'on ne comprend pas qu'on a nécessairement beaucoup de peine à traduire exactement "action" , "ongoing accomplishments" et "practical", voisin de "practices". Ou bien le référent est américain et actions, pratiques sont descriptibles dans cette langue et la rationalité sortirait d'une description réduite à des formes canoniques. Ou bien le référent est universel, mais où se trouve la métalangue de la traduction ? Dans " indexical" ! Mais l'index renvoie-t-il à un contenu ou à une forme? Et cette forme en quoi est-elle une raison ? Nous sommes interpellés puisqu'il y a une prétention à l'universalité mais cette universalité, il faut la lire dans un contingent qui n'est pas nous, qui exigerait sans doute de très longues descriptions.

Du coup s'instaure une distance. En affirmant la perception des différences et en l'annihilant pour "une raison", nous nous demandons quelle est cette raison et nous n'en savons rien. Nous ne pouvons que suivre Garfinkel. Comment? Nous proposons ici une lecture aidée.

En effet, la distance est peut-être comblée par la compréhension issue de la lecture mais elle est comblée aussi dans les faits, dans le contexte, puisque ce qui nous parait mystérieusement américain est aussi le lieu d'un passage, d'une traduction de l'Europe aux EtatsUnis.

Le terme « action », par exemple au dire de Lazarsfeld ou Parsons, vient de la tradition philosophique et sociologique allemande. Le texte est lui-même une traduction puisque un "ou bien" met sur le même plan "indexical expressions" et "practical actions". La traduction est aussi dans le contexte puisqu'on passe de l'allemand Handlung à l'américain "action". Handlung lui-même se trouvant dans Kant, pose le problème du kantisme français. La chose est encore plus évidente pour "organized". L'assistance que nous proposons a trait à cette situation interlinguistique. Cette situation interlinguistique peut se décrire car elle n'en gage pas l'Europe et les Etats-Unis en leur entier, en leur historicité comme le fait la grammaire générative par exemple. Garfinkel ne nous parle pas de linguistique cartésienne. Ce faisant, il reste dans des domaines relativement circonscrits. A ce niveau, nous trouvons, en France des réflexions relativement parallèles, qui elles aussi cherchent quelle peut être la rationalité du social. Nous pensons aux livres de Raymond Boudon : La logique du social (Hachette, 1979) et Pierre Naville : Sociologie et logique (P. U. F., 1982). Une lecture dialoguée, une lecture assistée sont donc possibles.
 

2) Action. Akt. Pratique. Praxis. Handlumg. Index. Indicateurs. Verhaltnis. Behavior :

Tout se passe d'abord entre l'Allemagne et les Etats-Unis. II y a un passage de l'Allemagne et de l'Autriche vers les Etats-Unis (passage de Parsons, passage de Carnap et de Lazarsfeld, de Vienne et de l'austromarxisme aux Etats-Unis. Passage d'Adorno qui revient ensuite à Francfort). Ces passages contiennent une traduction effective des concepts, traduction qui peut être discutée mais qui s'est faite. Cette traduction se fait parce que la tradition allemande et la tradition américaine se situent dans une même tradition religieuse, philosophique et politique : la Réforme, le judaisme, Kant, Marx, le socialisme version viennoise et le New-deal de Roosevelt, la guerre contre le nazisme.

La France ne fait pas à proprement parler partie de cette tradition, mais elle s'y accroche d'une autre manière par l'intermédiaire de Renouvier (protestant et disciple de Kant, Renouvier qui influença W. James), et va jusqu'à Durkheim d'une part, jusqu'à Sartre d'autre part. La formule « faire, et en faisant, se faire » de ce dernier vient de Renouvier. II y a une certaine chance pour que verbe français "faire" ait un rapport avec Handlung et Action ; mais les Français introduisent dans cet ensemble un facteur unique : la philosophie catholique de l'Action de Maurice Blondel. On peut se demander en quoi il peut être utile d'accumuler une telle quantité de références et si lointaines dans le temps, si éparpillées dans l'espace. En fait, cet éparpillement et cette remontée dans le temps sont relatives. Ils sont moindres qu'en ce qui concerne la linguistique.

Ce que l'on pourrait appeler la philosophie de la linguistique remonte jusqu'à Aristote et ne manque pas de faire référence à Russel ou à Frege. La philosophie de la sociologie n'a pas à remonter si haut parce qu'à la différence de la linguistique qui s'adresse à la grammaire, c'est-à-dire à une tradition ancienne et peu philosophique (le grammairien n'est pas le philosophe), la sociologie a toujours comporté une dimension philosophique, surtout chez Durkheim. Pourquoi ? C'est que l'objet sociologique, c'est-à-dire la société industrielle constitue une telle difficulté pour la raison et le rationalisme qu'il faut inventer, comme le voulait Durkheim, un nouveau rationalisme, un rationalisme complexe. D'autre part, le courant de pensée allemand-américain a engendré et son épistémologie et sa philosophie de l'histoire. Là encore, pourquoi ? Parce que la société pour une philosophie nominaliste - celle qui permet Luther et qui de Luther va jusqu'au nominalisme américain d'aujourd'hui - Goodman, Quine - la société ne va donc pas de soi : le nominalisme, dès son origine, est à la fois une philosophie, une philosophie du langage et du livre et une philosophie sociale.
 

3) Action (en anglais)

Comment s'opère le passage de l'Europe aux Etats-Unis via l'Angleterre? Les modes de ce passage sont connus et constituent le terrain de recherches historiques nombreuses. II s'agit du puritanisme, du calvinisme, de la fondation des Etats-Unis. Pour revenir au nominalisme, Hobbes est opposé aux puritains. II leur reproche d'être nontransparents, secrets c'est-à-dire non justiciables d'une logique et d'un calcul (computation) mécaniques. De fait les puritains constituent une fragmentation de la société anglaise. C'est cette fragmentation en groupes (peut-être en sectes) qui leur donnent leur capacité d'expansion politique et aussi d'inventicité scientifique. Est vrai ce que je fais. Ce que je fais je le fais bien et j'ai alors une petite chance d'être sauvé dira Calvin. A partir de la fragmentation puritaine et de l'humanisme calviniste va s'instaurer une théorie de l'action qui n'a plus la globalité fondée dans les concepts de Geist et d'Akt et qui est caractérisée par la pluralité et l'aléa.

Le pragmatisme américain est la philosophie de cette pluralité. La vérité d'un énoncé se constate dans les effets objectifs et subjectifs de mon action. "Handlung" devient action et action est synonyme de "Behavior" a qui est ce que Kant appelait Verhältnis mais non plus référé à une causalité objective en soi. II y a des comportements c'est-à-dire des êtres individuels groupés en agrégats divers et témoignant d'actions diverses. II n'y a pas de système donné qui permette de comprendre par un processus réflexif cette pluralité irréductible. En un mot il n'y a pas de Geist. Le problème posé à la science du comportement, plus exactement aux sciences du comportement (Behavioral sciences) c'est celui de définir quelle vérité autre que momentanée on peut atteindre à partir des comportements, quelle méthode permet d'atteindre cette vérité, quelle éthique et quelle politique peuvent constituer la finalité de la méthode.

La sociologie américaine, celle de Lazarsfeld, de Parsons, pense qu'il y a une vérité derrière les comportements. C'est donc une sociologie de la structure sous-jacente. Cette structure est décrite en termes d'espace ou en termes de système. L'espace correspond à la notion kantienne de schématisme. Toute conduite est orientée par un schéma orienteur qui se figure, se représente dans une image spaciale. C'est en ce sens que Lazarsfeld parle d' "action schemes as an ordering device" ; mais l'espace est soit donné et c'est celui qui conditionne le comportement, soit construit par le chercheur et c'est
une abstraction, un fil conducteur qui comme. l'explication de textes guide la lecture de la réalité. Ces deux concepts de la notion de structure ont été soulignés par Raymond Boudon.

Dans le premier cas nous avons la théorie topologique de Kurt Lewin. "The propositions that such and such a need exists is to a certain extent equivalent to the propostions that such a region of structures has a valence for such actions". Lewin cité par Lazarsfeld in qualitative analysis p. 72). La vérité de la sociologie consiste à établir l'équivalence entre la structuration d'une région de l'espace vécu, les valeurs attachées à ces différentes structures et les actions qui en découlent. Par exemple, la secte définit un espace restreint, celui de la secte même, point fondamental, apocalyptiquement décisif du sort du monde. La secte est la valeur même et les actions sont des actions pour la secte. La méthode consiste dans une traduction proposition par proposition de ce système d'équivalences. Ce qui est dit such and such "tel et tel" c'est l'indication qui en fait le sujet lui-même toujours situé en un point tel et tel. L'énoncé : je suis entré dans la secte x tel jour de telle année trouve sa vérité dans un parcours spatial où «entrer » ne veut pas seulement dire franchir une porte mais aussi franchir une étape dans sa vie, s'affranchir du passé et entrer dans une nouvelle vie etc. Ce qui est indiqué dans le premier énoncé est cette suite de propositions. Est indiquée en même temps la situation du sujet. Ce qui est induit en lui, ce qui va constituer le besoin la conduite, l'éthique, c'est la dynamique du champ social. L'espace social n'est ni indifférent, ni statique. Il engendre le besoin. Par exemple le besoin de secte peut être engendré par la sécularisation globale de l'espace religieux. Ce que fait le sociologue c'est la mise au jour de ce besoin.

Dans le deuxième cas, nous avons la sociologie de Lazarsfeld. L'espace est dit "espace de propriétés" (property space). Cela signifie que le comportement trouve sa vérité dans un ensemble de dimensions dont le nombre est limité, qui peuvent être structurées de différentes manières (réseau-hiérarchie) et qui constituent une sémantique close du fait de la combinatoire des significations et du jeu des données statistiques car ce qui est signifie est aussi agissant dans la composition, la distribution des groupes. Si l'on reprend l'exemple du problème sectaire le groupement en sectes est d'abord le trait de comportement de x sujets. Ce trait différencie les adhérents des sectes des non-adhérents ; ainsi ce qui constitue une première classification (le trait adhésion à la secte) se lie au trait intensité de la vie religieuse mesuré par le nombre d'actes religieux accomplis en temps x. Ces deux traits composent la dimension intensité. On dira que l'intensité est une variable intermédiaire (intervening variable) de la constitution des sectes. Il y a d'autres variables possibles : par exemple l'amitié ou le conglomérat physique. Ces variables sont dépendantes de l'espace de propriété pertinent qui constitue la sémantique, la structure latente de l'ensemble du comportement sectaire. Vivre intensément une religion ensemble tous les jours en un même lieu est une attitude qui est choisie par x individus en un moment donné. Ce choix est à la base d'une population statistique et introduit l'existence de sous-ensembles ou de sous-classes dans la première classe, des sectaires selon le degré d'intensité, de conglomérats, etc. La méthode consiste en une lecture, une explication des différentes corrélations statistiques. Par exemple si le comportement sectaire lie intensité et conglomérat, alors les sectes qui lient ces deux facteurs devraient avoir plus d'adhérents. Si ce n'est pas le cas, c'est que d'autres variables sont en jeu. Ce que fait le sociologue, c'est de prévoir ce jeu et de l'orienter politiquement dans le sens d'une socialisation de l'ensemble social.

Chez Parsons, on se trouve en présence de deux expressions structure of social action-system of social action. L'action que Max Weber concevait comme comportement typique, idéal-typique dans l'esprit du sociologue, devient chez Par sons une attitude. Cette attitude est orientée par des valeurs mais l'essentiel, pour Parsons, c'est la logique de la conduite et plus exactement la combinatoire des logiques. Max Weber aux Etats-Unis en 1904 croit voir dans un directeur de banque l'incarnation type du rapport puritain à l'argent, au travail. Parsons fait de l'activité du directeur de banque une conduite logique orientée selon quatre axes : Achievement - goal - attainement -Latency - Instrumental. La conduite est logique si elle est fonctionnelle. Le directeur de banque fait prospérer sa banque et trouve dans ce but, dans les méthodes de gestion, les rapports avec sa clientèle, l'accomplissement (Achievement) de ce qu'il se sent être, un serviteur de la meilleure communauté possible. L'adhérent à la secte trouve dans la prière, la conversation, un lieu, un ancrage qui lui manquaient. Cette structure latente et active de son comportement va entrer dans un système dont la clé est cybernétique puisqu'elle fait intervenir les notions d'information, de redondance, de contrôle. Le comportement est l'un des éléments d'une combinatoire plus vaste. Cet élément consiste en un type de pattern maintenance, d'équilibre marqué par la fonction limitative de la religion (Bellah). Valeurs, comportement, continuité et cohérence de l'action volontaire, s'interpénètrent en une combinaison commune, en un schéma non plus spatial mais vécu, voulu par un sujet et exprimée en une suite d'impératifs, d'exemples et de sentiments. En ce sens comme on l'a noté, Parsons est kantien. II l'est encore par un autre thème celui de ce qu'il appelle "Telic analysis". L'action comme chez Kant trouve sa fin, non seulement en un impératif, mais aussi dans une figure, celle du Christ par exemple figure, à la fois morale, esthétique et historique par quoi se fonde l'Eglise. Parsons reprend cette idée de la fonction téléologique et il la restitue dans le contexte américain. Alors que Weber voyait dans la rationalisation bureaucratique une cage de fer qui empêchait le développement du surhomme nietzchéen, Parsons voit au contraire dans l'ascétisme mesuré de la corrélation puritanisme-calvinisme, dans la fragmentation dénominationelle des églises, l'expression d'une systématique de l'action appelée "instrumental activism". En ce sens, la finalité de la sociologie consiste dans un tableau non plus des structures latentes plus ou moins prévisibles mais des diverses actions possibles comme pratiques de transformations du monde, comme service et comme mission à finalité également mondiale.

On voit donc le mot action aux Etats-Unis est synonyme de comportement, qu'il est tributaire d'une théorie de l'histoire religieuse des Etats-unis, d'une structure sociale plurielle dessinant des espaces divers y compris dans ses formes les plus locales. L'action est finalement la structure de ce qui se passe dans une communauté plus ou moins large. Cette structure est l'interaction des valeurs, des attitudes "teliques". Il a besoin et d'une théorie continue de l'acte volontaire et d'une idée de la religion voisine de celle de W. James : la religion, c'est aller plus loin. Quand Sartre reprend la formule de Renouvier, c'est pour l'inclure dans la notion de situation. Nous ne pouvons avoir que des actions relatives, situées, et la littérature qui croit échapper à cette limitation est un leurre. Merleau-Ponty transforme cette notion de situation en théorie de l'ambiguité : tout discours est ambigu, oscillant entre prose et poésie, silence et discours, welt et lebens welt. Ici apparait un autre aspect de la définition de Garfinkel : la notion d'organisme, de comportement organisé.

Ce qui constitue la pierre de touche des différences interculturelles concernant l'idée d'action, c'est en définitive la théorie du sujet, du livre et de la grammaire ou, si l'on veut revenir à Garfinkel, la théorie des index. Les index en Allemagne indiquent les intentions des énoncés. Ceux-ci sont toujours isomorphes des extensions étant entendu qu'on s'est donné des meanings postulats à l'entrée (noms propres - entrées lexicales - domaines). La grammaire est soit logique, soit distributionnelle, c'est-à-dire faite d'ensembles, de classes d'équivalence, soit indicative d'un processus historique. En France ,la grammaire est une grammaire de positions et les index sont des actes successifs du sujet. Comment se situe Garfinkel ? Comment peut-il poser la synonymie des expressions indicielles et des actions sinon par l'isomorphie posée entre l'action, l'index et les structures de comportement. En ce sens, Garfinkel demeure dans la tradition allemande. Son originalité, s'il y en a une, est donc aillleurs
 

4) En quoi consiste l'originalité de Garfinkel ?

Elle se situe, à notre avis, là où en apparence, il y ale moins d'originalité, c'est-à-dire dans la notion "d'everyday life" qu'on doit référer à la tradition écossaise du "common sense" et à la tradition française du sens commun. Nous pensons que l'ethnométhodologie est l'exploitation radicale, dans le contexte de la sociologie américaine, de la philosophie du sens commun. Cette exploitation radicale s'adosse à la sociologie américaine, se situe relativement en parallèle avec la grammaire générative, avec l'évolution de la métamathématique, avec enfin les présupposés métalinguistiques de l'informatique.

Nous disons que cette notion de sens commun se trouve portée sur le devant de la scène scientifique tant en mathématiques qu'en linguistique. En mathématiques, c'est tout le courant actuel de retour à la tradition empiriste française (Borel - Lebesque), c'est la présentation descriptive des ensembles. En linguistique, c'est le thème de la trivialité de la grammaire apprise ou enseignée telle qu'elle est indiquée dans les textes récents de Chomsky. Mais précisément, ce qui fait problème, c'est cette trivialité même. Comment se fait-il que l'enfant apprenne si vite à faire des phrases ?

Nous disons que la notion d'every life de Garfinkel se situe dans le même cadre d'idées, c'est à-dire :

1) Ce qui est rejeté : c'est tout ce qui serait a avant -, « plus profond a que la pensée elle-même, qu'il s'agisse de structures, de systèmes de champ de Geist. C'est aussi tout ce qui serait de l'ordre du comportement observé. Comme le dit Dugald Stewart : It is the philosophy of the mind alone.

2) Ce qui est posé : c'est l'idée d'un commencement.

On ne peut commencer que par la pensée du sujet devant des objets. Le commencement est théoriquement la nudité absolue, les choses sont devant nous et nous les pensons dans la réflexion. Nous ne nous trouvons ni devant un dépotoir, ni devant des signes mais devant des = remains a, c'est-à-dire des restes réels d'une chose réelle vus et avoués par un sujet incarné (incarnate). Ce sujet incarné par une analogie entre son regard, son discours et les choses, n'a qu'à les suivre, n'a qu'à les compléter et les rendre ainsi pleinement visibles. Ce rapport entre le sujet et les choses est loose, c'est-à-dire pas tout-à-fait logiquement rigoureux, mais il est. Quelle peut être la précision, le sensus acutus qu'on puisse atteindre ? Ce ne peut être qu'un ajustement, un attachement (tie). Cela veut dire que la précision ne peut être donnée tout de suite ni obtenue par une réduction des énoncés :individuels, qui est en fait une tâche infinie. Il n'y a qu'à suivre les phrases. Celles-ci constituent un texte long nécessairement car tout conflit ne peut trouver une solution qu'après un long discours. Mais là encore il n'y a pas de texte standard, ni celui de l'observé, ni celui de l'observateur. Garfinkel est opposé à la normalisation de ses propres textes. Le texte de l'observé, sa mise à jour visible progressive est doublé par le texte de l'observateur et de ses collègues. En ce sens l'ethnométhodologie est un art (artfull) un art du tissage des textes longs et de la mise au point de ce tissage. L'ethnométhodologie nous semble posée sur un commencement irréfutable, irréductible, un dire primitif. En ce sens elle est dans le vrai.