Pratiques de formation (analyses), Ethnométhodologies, ( Université de Paris VIII), 1985.

numéro spécial de la revue Pratiques de formation, numéro double 11-12.

Sommaire du numéro 11-12
 
3,4 - LES GENERATIONS SUCCESSIVES D'ETHNOMETHODOLOGUES AUX U.S.A. EN FONCTION DE LEURS DATES DE P.H.D.

(par Pierce Flynn, traduit par Marie-Solange Touzeau)
 

L'ethnométhodologie est l'étude de la connaissance pratique que possède un membre sur ses activités quotidiennes. En tant que telle, l'ethnométhodologie dirige sa recherche vers les pratiques quotidiennes utilisées par les membres dans l'assemblage communautaire d'un ordre social stable. Le programme de recherche ethnométhodologique fut vécu, au long de ses trente années d'histoire, comme révolutionnaire par de nombreux sociologues américains. Cet article a pour but de présenter une brève introduction à l'histoire de l'ethnométhodologie, à ses différentes formes d'étude et à la structure a générationnelle
 

Garfinkel, la Phénoménologie et Parsons

L'origine de l'ethnométhodologie remonte aux débuts de l'oeuvre de Harold Garfinkel. Garfinkel développa son approche unique des problèmes répétitifs de l'ordre social et de l'action sociale alors qu'il était étudiant à l'Université d'Harvard, de 1946 à 1952, Garfinkel fut étudiant de Talcott Parsons et travailla également avec le phénoménologue Alfred Schutz à la New School of Social Research. Ses premiers travaux représentaient une solution unique au débat qui existait alors entre Parsons et Schutz (1). Ce débat est exposé très clairement dans la correspondance entre Parsons et Schutz, qui fut rassemblée et éditée par Richard Grathoff (2).

Le centre du débat était la question de l'enquête sociologique à l'intérieur de la structure de l'action sociale, Schutz estimait que les questions de méthodologie et d'épistémologie étaient les fondements premiers à toute théorisation sociologique. Parsons croyait que l'ordre et l'action sociale s'élaboraient à partir d'un système normatif stable de symboles, de valeurs et de significations partagés par des acteurs sociaux qui employaient des standards scientifiques de connaissance et de rationalité dans la vie de tous les jours. Parsons confessa son scepticisme à l'égard de l'analyse phénoménologique de Schutz et de l'accent mis sur les problèmes posés par les différences de motifs interprétatifs en ce qui concerne les acteurs sociaux dans leur tentative d'élaborer un monde social à valeur subjective à partir de buts puisés dans le sens commun, d'expérience intersubjective et d'actions motivées.

Garfinkel a formulé une percée dans le débat entre le fonctionnalisme structurel de Parsons et la sociologie phénoménologique interprétative de Schutz. Cette mise en forme constitue le fondement de l'entreprise de recherche sociologique, et habituellement anti-sociologique, qu'il organisa et appela "ethnométhodologie".
 

Caractéristiques distinctives de l'Ethnométhodologie

L'ethnométhodologie s'est développée, pendant les trente dernières années, en tant que sousdiscipline, souvent rebelle, à l'intérieur de la sociologie américaine standard. Elle s'articule autour d'une critique fondamentale des méthodes et des théories de la sociologie classique (3). Les études ethnométhodologiques forment un corpus de travaux, oeuvre de quatre générations d'ethnométhodologues qui cherchent à implémenter le programme de Garfinkel.

Jules-Rosette, Mehan et Platt (4) ont défini huit traits distinctifs de la pensée et de la recherche ethnométhodologiques. On trouve ces traits en combinaisons diverses dans les ceuvres de Garfinkel et dans celles des différentes générations d'ethnométhodologues. En voici la liste : l'indexicalité ; la réflexivité ; le concept de membre de la société ; la disponibilité-perméabilité : "accountability" ; les pratiques de l'action sociale (les « pratiques localisées ») ; la contextualité ; la compétence unique unique adequacy » ; la mise scène de l'action sociale : "scenic display".

Ces aspects sont constamment reformulés et appliqués aux études empiriques de l'activité humaine. Ils ont été développés au cours d'une histoire du travail ethnométhodologique dans un contexte de groupes de travail d'ethnométhodologie originellement basés en Californie, dans les Universités de Los Angeles, Santa Barbara, Berkeley, San Diego, Irvine. En 1986, des recherches ethnométhodologiques se font sérieusement en Angleterre, en France, en Allemagne et dans d'autres pays
 

Etapes intellectuelles de l'ethnométhodologie

Mullins (5) a souligné plusieurs phases de développement social et intellectuel de l'ethnométhodologie. La première phase date de mars 1954, avec le travail de recherche de Garfinkel et de Fred Strodtbeck sur des délibérations de jury à Chicago, avant la nomination de Garfinkel à l'Université de Californie, Los Angeles, en septembre suivant. La phase suivante est celle des premiers séminaires à l'U.C.L.A. avec Aaron Cicourel, Egon Bittner, et Edward Rose, Gerald Platt et Peter McHugh de 1955 à 1958. Puis de 1957 à 1966 vient la phase « réseau », qui vit la publication des premiers éléments de programme, d'articles de Garfinkel et de Method and Measurement in Sociology (1964) de Cicourel ainsi que la formation des premiers étudiants. Ensuite, de 1966 à 1971, c'est la phase dite de la "grappe" marquée par les publications les plus importantes des recherches en ethnométhodologie : Etudes en Ethnométhodologie de Garfinkel (1967), Social organisation of juvenile Justice, Cicourel (1968) et son article « L'acquisition de la structure sociale » (1968), Sudnow : Passing on : The Social Organisation of Dying (1967), Définir la Situation, de McHugh, l'anthologie des écrits ethnométhodologiques éditée par Douglas en 1970 : Comprendre la vie quotidienne, ou l'on trouve l'article de Zimmerman et Pollner "Le Monde quotidien en tant que Phénomène" (1970) et l'article de Wilson « Paradigmes normatifs et interprétatifs de la Sociologie » (1970). Cette étape fut aussi celle de brillantes thèses d'ethnométhodologie à UCLA et à UCSB. La phase de "spécialisation" de 1972 jusqu'à aujourd'hui connaît une explosion de la pensée ethnométhodologique et des réseaux sociaux tissés par elle, ainsi des changements radicaux dans sa pensée, sa direction et son identité en tant que proprogramme de recherche sociologique viable et cohérent.

Différentes formes de recherche d'ethnométhodologie

L'ethnométhodologie a développé au moins trois styles ou formes différentes de recherche. La première recouvre les études sur les pratiques de travail menées par Garfinkel et ses associés. Ces études traitent les phénomènes de l'ordre social comme assemblage d'actions pratiques dans des ensembles empiriques tels des laboratoires de sciences naturelles (6), l'alchimie (7), les conférences académiques (8), la pratique du droit (9), la preuve mathématique (10), la production de films (11), et la conception de systèmes de notation (12).

Le second type porte sur des études de conversation. Les études conversationnelles ont pour origine le travail institué par Garfinkel, Sack (13) et Schegloff (14). Ces études continuent d'examiner les traits organisationnels du langage naturel dans les interactions du quotidien, comme par exemple les conversations téléphoniques, les salutations, les productions d'histoires et de comptes rendus, les plaisanteries dans le contexte de leur énonciation. Les volumes édités par Sudnow (15) Schenkein (16), Psathes (17), et Watson et Héritage (18) en offrent une bonne représentation.

La troisième forme du travail ethnométhodologique est de la sociologie cognitive et constructiviste. La sociologie cognitive fut créée par Cicourel (19) et Mehan (20). Elle comprend l'étude de l'acquisition et de l'utilisation du langage et du sens dans le cadre de l'interaction sociale. Ces études ont été menées dans des milieux de l'éducation, de la médecine et de la justice ; elles constituent au fur et à mesure un pont entre l'ethnométhodologie et des disciplines apparentes telles la psychologie cognitive, l'anthropologie et la linguistique.

Les Générations intellectuelles de l'Ethnométhodologie

Historiquement, on peut considérer l'ethnométhodologie comme un ensemble réseaux de générations. Ces générations ont essayé sérieusement de mettre en oeuvre le programme Garfinkelien d'enquête sur les propriétés rationnelles des expressions indexicales et autres actions pratiques en tant qu'accomplissements conditionnels "vivants" des pratiques de la vie quotidienne (21).

La base historique de la place à l'intérieur d'une typologie des générations est une mesure de temps de dix ans qui voit la "naissance" intellectuelle de l'ethnométhodologui, les fondations de sa formation d'ethnométhodologue, son travail d'université (troisième cycle), et ses premières recherches ethnométhodologiques. Le tableau 1 présente un tableau simple des générations de l'ethnométhodologie.
 

(1) Héritage, 1984 ; et B. Jules-Rosette, 1980.
(2) R. Grathoff, 1978.
(3) H. Garfinkel, 1967 ; A.V. Circourel, 1964 ; H. Sacks, 1963 ; et D.H. Zimmennan et M. Pollner, 1970.
(4) B. Jules-Rosette, 1985.
(6) H. Garfinkel, M. Lynch, E. Livingston, 1981 ; M. Lynch, E. Livingston, H. Garfinkel, 1983 ; M. Lynch, 1985 ; et M. Lynch, 1985.
(7) T. Eglin, 1986.
(8) H. Garfinkel et S. Burns, unpub. Paper, UCLA, 1979.
(9) S. Burns, unpub. Paper.
(10) E. Livingston, 1986.
(11) R. Faumar, 1986.
(12) C. Pack, 1986.
(13) H. Sacks, 1964-1975 ; 1972 ; H. Garkinkel et H. Sacks, 1970 ; et H. Sacks, E. Schegloff et G. Jefferson, 1974.
(14) E. Schegloff, 1968 ; et E. Schegloff et H. Sacks, 1973.
(15) D. Sudnow, 1972.
(16) D. Schenkein, 1978.
(17) G. Psathes, 1979.
(18) D.R. Watson et D.C. Heritage, 1985.
(19) A.V. Circarri, 1974 ; 1980 ; et A.V. Circourel et H. Mehan, 1985.
(20) H. Mehan, 1979 ; 1978 ; et H. Mehan et H. Wood, 1975.
(21) L. Quéré, B. Conein, R. Dulong, P. Pharo, 1984 et idem 1985 ; Y. Lecerf, 1985 ; et J. Signorini, 1985.
 
 

Tableau 1

GENERATIONS DE L'ETHNOMETHODOLOGIE EN ANGLETERRE ET AUX U.S.A.

Première génération (années de PHD : 1946 à 1952)
- Garfinkel.

Deuxième génération (années de PHD : 1952 à 1962)
- Bittner, Blum, Cicourel, Duster, McHugh, Platt, Rose.

Troisième génération (années de PHD : 1962 à 1972)
- Atkinson, Bellman, Boese, Castaneda, Churchill, Coulter, Douglas, Eglin, Fillmer, Handel, Heritage, Jefferson, Jennings, Jules-Rosette, Leiter, Mac Andrew, Mac Kay, McHoul, Mehan, Moerman, Pomerantz, Poliner, Psathas, Sacks, Schegloff, Schenkein, Schwartz, Sharrock, Silverman, Speier, Sudnow, Ten Houten, Turner, Wieder, Watson, Wilson, Wood, Zimmerman.

Quatrième génération (années de PHD : 1972 à 1982)
- Baccus, Boden, Burns, Casey, Fauman, Fishman, Fischer, Girton, Liberman, Livingston, Lynch, Macbeth, Meyer, Morrison, Pack, Rawls, Robillard, Schrecker, West.