Pratiques de formation (analyses), Ethnométhodologies, ( Université de Paris VIII), 1985.

numéro spécial de la revue Pratiques de formation, numéro double 11-12.

Sommaire du numéro 11-12
 
5,4 - L'ENFANT ET L'ETHNOMETHODOLOGIE

(par Marie-Solange Touzeau)

« La socialisation est un vernis ? une glose ? qui exclut l'explication du phénomène qu'elle en tend recouvrir, à savoir l'interaction entre adultes et enfants.

Robert W. Mackay, dans son article « Conceptions d'enfants et modèles de socialisations »  dénonce l'approche normative appliquée aux changements vécus par l'enfant à partir de la naissance, changements alors expliqués et analysés en terme de la socialisation. "La notion desocialisation induit des formulations théoriques qui appartiennent aux adultes et ne font que refléter la vision « adulte » des enfants comme êtres incomplets", écrit Mackay.

Etre - c'est être socialisé, c'est acquérir des rôles. Ce que les sociologues de la tendance normative entendent démontrer, c'est l'égalité humain = rôle. Pour eux, les enfants sont des êtres incomplets, immatures, irrationnels, incompétents, asociaux, aculturels alors que les adultes sont au contraire complets, mûrs, compétents, autonomes, etc, tant qu'ils ne franchissent pas la barrière du "normal", du "normalement adulte".

Ainsi, "sous les auspices de telles formulations, aucune recherche n'a été menée sur les enfants en tant qu'enfants", déclare Mackay. Par contre, le label scientifique a pu être apposé sur les conceptions de sens commun selon lesquelles les enfants sont des êtres inachevés, « des tabula rasa. Parler d'adultes et d'enfants, c'est sous entendre les passages d'un ordre ontologique à un autre », dans une formulation d'un monde qui serait statique, avec diverses étapes permettant de franchir les degrés de l'inachèvement pour atteindre l'âge adulte, âge de l'achèvement. Il en résulte, dit Mackay, « une non disponibilité des sociologues à l'égard de l'interaction adultes?enfants comme phénomène d'étude ».
 

La perspective interprétative

Note 9 de l'article : "Cette perspective implique la notion de libération et en tant que telle offre la possibilité intellectuelle de libérer les enfants au même titre que les prisonniers politiques (Voir aussi Holt, Labov, Neill)."

" ... La sociologie interprétative (Cicourel, 1970b ; Garfinkel, 1967 ; Holt, 1969 ; Labov, 1972 ; Neill,, 1960; Schutz, 1962) restaure l'interaction entre adultes et enfants, basée sur des compétences interprétatives comme phénomène d'étude..." On cherche à comprendre comment des personnes manifestent la signification, le sens qu'elles attribuent au monde. Mackay cite des exemples de situations, vécues et observées par lui où il est aisé de pointer les compétences interprétatives des enfants, leurs capacités particulières à acquérir du savoir, des connaissances, à s'organiser dans le jeu de la complexité du monde. Il cite l'exemple de l'introduction d'une machine à écrire dans un groupe d'enfants d'âge préscolaire, de 3 à 6 ans : la machine à écrire servit d'analyseur, de révélateur de leur compétence à acquérir l'écriture et la lecture - ils tapaient à la machine des histoires, des poèmes de leur invention, tout en explorant le clavier de la machine, ils lisaient des paragraphes de leurs propres conversations...

Les enfants ont une compétence d'interprétation du monde. Mackay suggère également qu'ils ont leur propre culture, leur propre succession de cultures. Alors, écrit-il, l'étude de l'interaction adulte-enfant (appelée auparavant socialisation) devient en substance l'étude d'un processus d'assimilation culturelle et théoriquement l'étude d'une interaction sociale chargée de signification.

Au moment où j'écris ces notes en lisant l'article de Mackay, je ne peux m'empêcher de faire le lien avec mon vécu de mère de Corentin, qui, dans la semaine, fréquente la crêche de l'Université de Paris 8. Cette crêche est certes un endroit privilégié mais où l'un des termes consacré proposé à la réflexion des parents en tant que tels, est justement le mot "socialisation". Les points que soulève Mackay à propos de la compétence des enfants, m'incite à réviser une situation qui vient à l'instant de se produire. C a retrouvé depuis 2 jours une cassette où est enregistrée une conversation entre lui et ses parents. Il passe son temps à l'écouter, s'endort en écoutant la cassette, ...; il se répond, se corrige, commente, s'appelle quand la cassette est terminée. Il a un problème il y a un autre C dans la cassette qu'il reconnaît pourtantcomme étant lui-même. Son père estime que c'est malsain, narcissique à l'extrême... Pendant sa sieste, C s'est mis en quête de C dans la cassette. Alors que je le pensais endormi, il surgit, furieux avec des dizaines de mètres de bande qu'il a sorti. Il est très en colère, moi aussi : "Moi je veux écouter", dit-il en larmes, et c'est à moi qu'incombe la remise en ordre physique de la cassette. Cette interaction révèle bien qu'il existe pour lui quelque chose de l'ordre du partage des compétences : 1) la résolution du problème de C et de C dans la cassette, c'est son domaine, son affaire et sa démarche toute logique, il cherche dedans, c'est sa compétence; la remise en place de la bande, c'est ma compétence.
 

Interaction Adulte-enfant

L'interaction adulte-enfant est problématique à cause des différences culturelles. La compréhension entre deux cultures séparées nécessite une traduction adéquate d'une part, et d'autre part toute interaction humaine repose sur les capacités interprétatives de participants. Mackay reprend à son compte la formulation de Cicourel de l'invariance des capacités interprétatives, les différences culturelles apparaissant comme des règles de surface.

Vient ensuite "l'analyse d'une occasion spécifique de l'interaction entre un adulte et un enfant, qui indique comment la compréhension basée sur les capacités interprétatives se construit au cours de l'interaction..." "Les extraits sont tirés d'une transcription écrite de la partie audio d'un interview vidéo entre une enseignante de cours préparatoire et un élève, dans la classe." La matinée s'était terminée par un exercice à partir d'une histoire lue plus tôt le matin même il s'agissait de reproduire des séquences de l'histoire à partir de phrases de l'histoire ou de paraphrases. Le but de l'enseignante était d'introduire le concept de séquence auprès des enfants. L'interview fut mené à la demande des chercheurs dans le but d'essayer de décrire quelle était la compréhension de l'enfant à l'égard de la leçon et de l'exercice. Mackay propose une description/analyse ethnométhodologique à partir d'extraits transcrits, comme illustration des méthodes de l'approche interprétative de l'interaction adulte-enfant.

Dans le paragraphe intitulé Instruction : compréhension en tant que lieu de la « réponse juste », Mackay montre comment la démarche de l'enseignante consiste à traiter l'enfant comme vide de connaissance (i.e. les réponses correctes) puis à l'amener de cet état de vide vers un état de plein (i.e. la connaissance). Pour cela, l'enseignante pose des questions et les reformule jusqu'à ce que l'enfant donne la réponse "juste". Elle donne au besoin cette réponse juste pour que l'enfant la restitue. L'enfant, souligne Mackay, n'est alors considéré que comme un être doué de mémoire, un peu à la manière d'un robot.

Il montre ensuite, à travers les extraits, comment l'enseignante pré suppose la compétence de l'enfant pour aborder et comprendre la leçon pour finalement la nier et faire dominer sa compétence d'adulte, de maître.

Note 21 du texte : "Cette observation a de fortes implications pour le système éducatif. L'apprentissage pour l'enseignant, c'est trouver la preuve de son accomplissement maintenant (c'est-à-dire pendant la leçon et l'exercice). Quand plus tard (par exemple au cours moyen) l'enfant démontre ses capacités acquises au cours préparatoire, on assume que leur génèse se situe dans la leçon et non dans les capacités de l'enfant à apprendre ailleurs. En faisant référence à un ailleurs, j'entends pointer les compétences que possède l'enfant de se configurer le monde de manières variées et différentes, dans des contextes variés et différents. L'assomption de l'importance de la leçon est la raison d'être de l'enseignement formel et de sa place dans les organisations appelées écoles. Si dans les écoles, on se focalise sur les activités organisationneiies pratiques ici et maintenant, comment ces activités peuvent-elles produire des enfants impliqués dans la poursuite de la connaissance dans un sens large et temporel du terme? Pratiquement, comment est-il possible, dans ces circonstances que les enfants comprennent que ce qui est « appris » à l'école s'applique à l'extérieur des murs ?

L'interaction adulte-enfant est de nature paradoxale. L'enfant est considéré comme déficient à travers l'approche sociologique normative. La vision de l'enseignante et celle des sociologues normatifs se caractérisent par le fait qu'elles participent éminemment du sens comnun. Elles n'ont alors rien de théorique (Garfinkel, 1967), mais sont partie intégrantes de cet ordre qu'elles entendaient décrire. Pour considérer les compétences interpretatives des enfants, la théorie interprétative doit s'appliquer à la fois à l'interaction adulte-adulte et adulte-enfant, les différences entre ces deux types d'interactions n'étant pas de l'ordre de la théorie mais de la substance. En substance, conclut Mackay, les phénomènes Je l'apprentissage sont (a) les manières par lesquelles les adultes affectent de l'incompétence aux enfants, et la mettent en évidence (b) la structure de la culture des enfants.

Les phénomènes maintiennent une transparence de leur qualité d'être plus qu'une seule chose à la fois : le dialogue du Ménon peut être lu comme un monologue de Socrate, les réponses du garçon n'étant que la production de Socrate ; les expériences des phénomènes qui sont deux choses à la fois, de Carlos Castaneda sous l'effet de la « petite fumés ».