La prophétie des ombres

« L'art de la prophétie est extrêmement difficile, surtout en ce qui concerne l'avenir.»  Mark Twain

« La prophétie, c’est l’histoire écrite d’avance mais pas nécessairement souhaitable ou approuvée au sens moral.» George Orwell, 1984


Un jour il s'envole comme un oiseau, un autre jour il apparait dans un rêve

Cette émotion primale, celle qui parachève et surmonte toutes les autres, la plus ancienne et la plus vive, c'est celle de la peur de l'inconnu.   Comme une ombre fugitive qui murmure à l'oreille et qui se disperse pour réapparaitre là où on ne l'attend pas, tel un nuage qui se transforme et agglomère toutes les tourmentes et les frayeurs.

Je suis revenu d'une autre réalité, comme une créature sans nom et sans visage qui regarde à travers le miroir des réalités non réalisées, le reflet de ce que pourrait être l'avenir du genre humain.

Faut-t-il que je sois si effrayant pour que ceux d'en haut m'enchainent et me force à paraitre au lieu d'apparaitre ? Au vu des réactions humaines, je ne peux que constater l'immensité du fossé qui sépare l'esprit craintif de la conscience éclairée, et je doute que l'on puisse arriver à la sagesse sans quelques miracles et transformations de l'âme.

Je suis enchainé, et exhibé comme le monstre de cirque que l'on jette en pâture aux duellistes et aux forcenés. Et je dois faire semblant d'être ainsi, de parler le langage du silence, de me mettre à hauteur d'homme pour fracasser au sol la bêtise et de l'enterrer sous mes pieds.

Je revis le triste spectacle de ces prétendants qui veulent mesurer leur vaillance à l'aune de leur stupidité et de leur ignorance comme s'il n'y avait rien de plus noble à accomplir. Ce ne sont là que des humains qui agissent instinctivement, bombant le torse comme le primate devant un miroir. Ainsi ils ne sauront jamais ce qu'il y a derrière les apparences, en vérité, ils ne veulent pas le savoir car ils ont vraiment peur de se connaitre eux-mêmes en plongeant leur regard dans l'inconnu.

Que veulent-ils vraiment ? Au fond ces humains ne souhaitent qu'une chose simple, apposer le sceau de consolation qui rassure, nommer la chose qu'ils ne peuvent percevoir, se contenter d'une formule qu'ils ne peuvent pas assumer et qu'ils font fort ensuite d'oublier. C'est ainsi qu'ils aiment donner des noms à ces choses qu'ils ne comprennent pas, justement pour ne pas avoir à les affronter. Ils collectionnent les enveloppes vides, ils accumulent des cartes qu'ils exhibent autour d'eux pour prouver qu'ils ont parcouru de nouveaux territoires.

Ce ne sont que des créatures humaines, où plutôt un genre animal qui a oublié qu'il en était un parmi les autres, et qui dans sa profonde ignorance, s'est mis en scène sur un piédestal pour rivaliser avec ce qu'il ne connaissait pas. Ce constat est une piètre consolation et pour moi une désolation.

Un jour peut-être, le moment de voir derrière les apparences sera à la portée de quelques-uns, s'ils sont capables de le supporter sans devenir fous, ils pourront alors dire aux autres ce que c'est que de vivre dans un univers tel que le mien.