Communication impensable avec l'extra-terrestre


Mystérieux objets célestes, 1954, par Aimé Michel

Extrait du chapitre "ombre et silence"

« LE CONTACT EST-IL IMPOSSIBLE ? Il s'agit ici, bien entendu, du contact intellectuel. Si un objet est supposé exister physiquement, cela signifie, par définition, qu'il peut être perçu de quelque manière par nos sens ou par nos instruments. Autrement, c'est qu'il n'existe pas physiquement.

A première vue, l'impossibilité d'un contact intellectuel entre êtres doués d'intelligence paraît un paradoxe.

«Qu'ils descendent jusqu'ici, ces extra-terrestres, qu'ils se montrent seulement, ai-je cent fois entendu dire. Nous apprendrons leur langage, ou eux le nôtre. S'ils ne parlent pas, nous nous écrirons. Hélène Adams Keller était aveugle, sourde, muette à l'âge de dix-neuf mois. Cela n'empêcha pas Anna Sullivan d'entrer en rapports avec sa conscience intérieure pourtant emprisonnée dans les ténèbres et le silence. Et Hélène Keller devint un être humain ouvert à toutes les subtilités de ce monde dont elle était coupée. Pourquoi serait-ce différent avec un être extra-terrestre ? »

Pourquoi ? Tout simplement parce qu'Hélène Keller était un être humain, d'un nouveau psychique humain.

Il existe ou il a existé sur la terre une infinité de niveaux psychiques depuis la bactérie (ou même, selon Teilhard de Chardin, depuis la particule) jusqu'à l'homme. Il y a un niveau humain, un niveau du chimpanzé, un niveau du rossignol, un niveau de la truite, et ainsi de suite jusqu'au néant ou à l'infime.

Dans la jungle ou dans la forêt, où tous les animaux vivent en liberté selon les lois de l'équilibre vital, les chasseurs et les naturalistes savent bien qu'il existe un continuel échange d'informations entre animaux de même espèce et aussi entre espèces. Combien de fois, en montagne, ai-je entendu le coup de sifflet strident de la marmotte avertissant ses commères de mon arrivée, c'est-à-dire du danger ! Et souvent, une harde de chamois était elle aussi avertie par le même coup de sifflet, et détalait aussitôt. Ou bien c'était l'inverse. Ou encore, c'est un oiseau qui donnait le signal, repris par la marmotte, et compris par le chamois.

Mais voici la première intervention d'un « niveau » : j'imite le cri de la marmotte, elle s'y trompe, me répond et, si elle ne me voit pas, engage une sorte de «conversation ». Mais que puis-je dire à une marmotte ? Evidemment, uniquement des « idées » de marmotte : « danger », ou bien : « je suis un mâle », etc. J'aurai beau affiner tant que je voudrai ma pratique du langage marmotte, jamais je n'arriverai à le charger, pour ma gentille interlocutrice, d'autres messages que ceux de son niveau. On ne peut expliquer en marmotte le théorème de Pythagore. En revanche, je pourrais, à la limite, connaître intégralement les « idées » de son niveau. C'est d'ailleurs ce que font les naturalistes.

« Pourquoi ces Martiens ne nous parlent-ils pas ? me dit un jour l'entomologiste Jacques Lecomte [1]

— Pourquoi n'êtes-vous jamais entré en contact intellectuel avec les vaches ? répliquai-je, croyant bien l'embarrasser.

— Apprenez, me dit-il, que c'est chose faite : à condition de se donner la peine d'apprendre, un homme peut dire à une vache exactement tout ce qu'une vache peut dire à une autre vache. Le naturaliste autrichien Konrad Lorenz parle si bien oie sauvage qu'il peut faire manoeuvrer un vol d'oies aussi docilement qu'un adjudant ses recrues : les faire courir, s'envoler, se poser, etc.

— Un vol d'oies non dressées, qu'il n'a jamais vues ?

— Qu'il n'a jamais vues.

— Mais, insistai-je, les oies sont des vertébrés, nos cousines en quelque sorte. Lorenz joue sur la parenté.

— Erreur : il s'agit d'une loi générale. Un autre naturaliste est capable de faire la cour à un escargot, de lui conter fleurette.

— Et ça réussit ?

— Parfaitement, dit Jacques Lecomte. Nous pouvons entrer en rapports avec tous les êtres vivants à leur niveau, à condition que ce niveau soit inférieur au nôtre, ou plutôt que le nôtre les cumule.

— Alors, si ces messieurs des Soucoupes, à supposer qu'ils existent, se mêlaient de nous «parler », ils devraient pouvoir ?

— Je n'ai pas dit cela. Qui prouve qu'ils cumulent notre niveau humain ? L'aspect « cumulatif » du psychisme terrestre, qui fait que le niveau humain cumule le niveau du singe, celui du poisson, celui du batracien, etc., s'explique peut-être par le fait que nous procédons tous d'une même évolution, que pour être des hommes nous avons dû être des anthropoïdes, pour être des anthropoïdes quelque chose comme des lémuriens, et ainsi de suite depuis la bactérie. Le corps de l'homme résume tout le passé de la vie terrestre, et l'esprit de l'homme résume une bonne partie de la vie terrestre, de cette vie. Mais l'un et l'autre ont ajouté au passé quelque chose qui fait que nous sommes plus que la somme de tout cela. Nous pouvons mettre au niveau de tout ce par quoi notre lignée est passée depuis l'origine de la vie terrestre. Mais un être procédant d'une autre lignée évolutive, que serait son psychisme ? Nous n'en savons rien. Cependant, personnellement, je serais porté à croire à une espèce d'universalité des niveaux psychiques. Dans tous les mondes, on passe peut-être par le niveau humain.

— Et après ce niveau ? Au-delà ?

— Après... Peut-on savoir ? »

De cette conversation et de beaucoup d'autres, comme de la lecture des ouvrages les plus récents sur le psychisme animal et humain [2], on peut donc tirer avec vraisemblance l'opinion analogique qu'un psychisme supérieur au nôtre devrait pouvoir entrer en contact avec nous à notre niveau. Mais que penser du mouvement inverse ? L'homme peut-il espérer pénétrer d'un psychisme supérieur au sien, si l'occasion lui en est donnée ? Ici le raisonnement par analogie invite à répondre par la négative. L'abeille ne discerne pas qu'elle fait son miel pour l'homme parce que la ruche est le produit d'une industrie indiscernable aux yeux de l'abeille, et qu'elle ne distingue pas une ruche faite par l'homme de celle qu'elle fait elle-même. Elle ignore même l'existence de l'apiculteur. De même un chien ne discerne pas un pilier de cathédrale de n'importe quelle pierre, et la cathédrale de n'importe quelle caverne, car la différence entre ces choses s'établit à un niveau psychique qui lui est inaccessible. Et si l'on réserve peut-être le mystère de l'amour, le chien ne « comprend » en nous que ce qui en nous est chien.

S'il en était ainsi de nos rapports avec des êtres d'un psychisme supérieur au nôtre, nous ne discernerions, dans leur comportement, que les réalités de notre niveau. Par exemple des lignes géométriques. Mais l'incompréhensible en eux aurait ceci de particulier qu'il serait indéfinissable en langage humain. Nous sommes ici au seuil du vertige. Arrêtons-nous-y pour l'instant.

LE CONTACT EST-IL EVITE ? C'est le sixième hypothèse. Du point de vue de la morale humaine, on peut imaginer un mobile à cette abstention hypothétique : c'est la connaissance qu'auraient ces êtres des catastrophes engendrées par un contact, et que nous avons entrevues plus haut.

LE CONTACT EST-IL SECRET ? Par définition, on n'en peut rien savoir.

LE CONTACT EST-IL REEL, MAIS INVISIBLE ? Dernière hypothèse, la plus fascinante de toutes. Car à cette question on est obligé de répondre : un tel contact n'est pas impossible. Si, en effet, le contact entre eux et nous s'établit à leur niveau, et non au nôtre, il est et demeurera, quoi que nous fassions, indiscernable à nos yeux. Ici encore, le raisonnement analogique nous permet de nous faire une idée de cette chose inconcevable. La plupart de nos rapports avec les bêtes sont rigoureusement et définitivement indiscernables pour elles. Les montons ne sauront jamais qu'on les élève pour leur prendre leur laine et les manger. Un troupeau de moutons pourra vivre et se reproduire pendant des siècles auprès d'un abattoir, voir chaque jour le boucher, assister au prélèvement quotidien des victimes et entendre leurs cris d'agonie sans jamais soupçonner le sens de tout cela. Les chiens ne savent pas et ne peuvent pas savoir qu'on les piquera quand ils seront vieux, car ils ne peuvent savoir ce que c'est que d'être d'un autre âge, ou même concevoir l'idée d'âge. Toutes les « connaissances » portées par le jappement et le bêlement s'arrêtent à des millions de lieues de telles conceptions, ou plutôt, puisqu'il s'agit d'évolution, des millions d'années avant. Nous manoeuvrons les bêtes notamment par notre sens du temps, qu'elles n'ont pas. Elles pourront cohabiter avec nous jusqu'à la fin des âges sans soupçonner jamais que leur destin s'est constamment joué dans des régions indiscernables pour elles, quoique leurs yeux n'aient jamais cessé de les voir.

Et disons-nous bien ceci : il y a quelques millions d'années, notre propre lignée à nous hommes, les propres ancêtres de Platon, de Newton, d'Einsten, en était exactement au même point que les chiens et les moutons. Où en sera-t-elle, cette lignée pour le moment humaine, dans quelques millions d'années ? Y a-t-il une limite supérieure à la montée du psychisme ? Pourquoi le croirions-nous, et pourquoi croirions-nous, si ce sommet existe, que nous l'avons atteint ?

Dès lors, la réponse à la question : « Pourquoi n'y a-t-il pas de visiteurs de l'espace ? » est peut-être celle-ci, tout simplement : il n'y en a pas parce que nos yeux seuls les voient, et pas notre esprit, qui ne peut pas. Leur absence pourrait n'être qu'apparente. La souris qui ronge nos vieux bouquins voit physiquement, avec ses yeux, tout ce que nous voyons. Elle le voit, mais ne peut le discerner. La forme des lettres se projette au fond de sa rétine, mais elle ne saura jamais les lire. Du spectacle humain, elle ne voit que ce qui est souris et peut-être trouvera-t-elle ce livre meilleur que ceux de mon adversaire et ami Jacques Bergier. A la vérité, si les souris ont vu et rongé la plupart des livres de la littérature universelle, elles n'en ont jamais discerné un seul, car ce qui fait qu'un livre est un livre est à jamais caché à leur vue. Quelque jour, un savant écrira un mémoire prouvant qu'il faut exterminer toutes les souris et indiquant un moyen de le faire en appuyant sur un bouton. Puis il ira se coucher. Une souris alors viendra trotter sur le bureau du savant, goûtera le mémoire, le trouvera mauvais et s'en ira grignoter autre chose. Trois jours après, il n'y aura plus de souris. Ainsi en est-il de notre vision de l'univers : nous discernons tout ce qui, dans le spectacle quotidien des choses, est accessible à notre pensée. Et si quelque être sidéral d'un psychisme supra-humain hante notre ciel, nous sommes aussi impuissants à discerner son activité et à analyser ses mobiles qu'une souris à lire les mémoires scientifiques. Repérer les alignements, c'est-à-dire des apparences conformes à la nourriture habituelle de notre esprit et à son niveau d'assimilation, c'est peut-être faire comme la souris, qui ne reconnaît un livre que ce qui est à son niveau, c'est-à-dire s'il est ou non agréable à ronger... Est-il possible de pousser plus loin encore ces raisonnements analogiques ? Oui, sans doute, à condition de se rappeler les limites de ce genre de raisonnement, qui ne peut en aucun cas fonder une certitude. L'extrapolation analogique est la plus aventureuse de toutes, et jusqu'à nouvel ordre Des souris et des hommes n'est qu'un roman.

Mais enfin, s'il est vrai que la science de demain ne transformera en certitude qu'une sur mille de nos hypothèses d'aujourd'hui, inversement, toutes nos certitudes actuelles ont commencé par être des hypothèses. Les réalités les plus sûres furent d'abord rêvées : ne refusons donc pas de rêver, sans oublier que nous rêvons. Et voici, en questions et réponses, un rêve que nos connaissances actuelles rendent tout à fait vraisemblable :

— La biologie nous permet-elle de croire qu'à tout phénomène dit « psychique » correspond un phénomène physique bien déterminé ? Autrement dit, qu'à toute pensée humaine, si fugitive, si subtile et si abstraite soit-elle, correspond une modification de l'encéphale (influx nerveux, mise en série ou en parallèle des neurones, infimes phénomènes chimiques ou électriques, etc.) ? Oui, la biologie permet de croire cela. Et même il n'existe plus aucun savant pour supposer le contraire. C'est là, peut-on dire, une certitude de la science.

— Notre technologie actuelle nous permet-elle d'espérer que tout phénomène physique pourra un jour ou l'autre être étudié et analysé expérimentalement ? Oui encore. C'est même là l'article de foi numéro un de tous les savants du monde.

De ces deux questions, et de leurs réponses, on doit donc déduire qu'il sera possible un jour ou l'autre, grâce au progrès de la science, d'enregistrer expérimentalement toutes les variations concomitantes de la pensée, aussi abstraite, subtile et fugitive soit-elle. Ce n'est pas là une certitude, mais enfin c'est une foi très raisonnable. En tout cas, si jamais on y parvient, il suffira d'un peu de patience pour déchiffrer dans des enregistrements expérimentaux toute espèce de pensée et recueillir toute l'information contenue dans cette pensée.

Supposons alors qu'une technologie disposant de telles possibilités se promène dans l'espace sidéral : comment prendrait-elle contact avec la pensée d'une planète nouvelle ? La science-fiction l'imagine fort bien : une armada d'« enregistreurs de pensée » arrive sur cette planète, parcourt en long et en large un périmètre choisi, et ratisse en un clin d'oeil, ou en quelques mois, toute la pensée répartie dans ce périmètre ! Pourquoi les animateurs de cette fantastique moisson prendraient-ils un contact personnel avec les hommes, par exemple ? A quoi bon ? Nous serions aussi nus dans leurs machines qu'un croyant devant son Dieu. Ils nous connaîtraient mieux que nous-mêmes, puisque nous poursuivons en vain, notre vie durant, le rêve de savoir qui nous sommes, ou ce qui s'agite au fond de l'être le plus aimé, le mieux connu. Tandis que j'écris ces lignes, le soir tombe sur Paris. Peut-être rien de tout cela n'est-il vrai. »

[1] : Maître de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique. Auteur de nombreux travaux sur les abeilles et l'apprentissage chez les insectes

[2] : Voir par exemple, Vie et mœurs des insectes, par le professeur Rémy chauvin, Payot édit, Paris. De l'animal à l'homme, par Jacques Lecomte, Marne édit, Paris.


Expérience de pensée sur la communication impensable

   

Ils communiquent avec nous en imitant le cri de la marmotte.


 

Ils nous observent à la loupe comme si nous étions des escargots.


 

Ils nous traitent comme des vaches ruminant sans arrêt des idées irrationnelles.


 

Ils nous aident à leur manière mais nous ne voyons que des mains qui nous manipulent.


 

Ils nous considèrent comme des bandar-log, une sous-famille méconnue de singes anthropomorphes qui se vantent, jacassent et rient de tout.


 

Ils tentent de communiquer subtilement avec nous malgré notre folie et notre peur viscérale de l'inconnu


 

Ils nous connaissent mieux que nous-mêmes, ce qui revient à dire qu'ils se méfient de nous et limitent soigneusement tout contact de façon à ne pas aggraver nos troubles de la personnalité et nos éventuelles folies collectives. Ils pensent peut être que nous sommes dans une sorte d'asile planétaire gouverné par des fous, financé par des irresponsables et approuvé par une masse endormie. Que feriez-vous si vous étiez à leur place ? Sûrement pas intervenir selon des conceptions terrestres du contact avec une civilisation d'un autre monde. Il est difficile de se mettre à la place de quelqu'un qui vit en dehors de l'asile, il faut être un peu naïf pour penser le contraire. Essayez donc de vous mettre à la place d'un fou dangereux qui essaye de rivaliser avec son thérapeute.