LE CAVEAU ( MEL VADEKER, 1999)
Première partie.
 

J'ai visité le cimetière pour retrouver le reste de mon ancien corps mais je n'ai trouvé qu'un ossuaire immense. Impossible de distinguer les restes de mon corps de ceux de mes frères morts au combat. Je suis revenu d'entre les morts pour avoir la chance de venger ma conscience meurtrie jusqu'au noyau infime de son origine. C'est le Tout Puissant qui m'a rappelé pour se soulager de ma peine. Dans l'au-delà je ne servais à rien, je dépensais mon énergie dans la plainte. Je remercie la puissance de la création pour cette chance de refaire partie de l'action guerrière et manger ce repas froid de la vengeance.

Je suis arrivé en planant sur la brume illusoire d'un nuage aussi dense que mon inquiétude. Je ne savais pas sous quelle forme j'allais me réincarner. J'ai rêvé d'un corps comme la roche parfaite, la pierre souple qui supporte le cisaillement. J'ai rêvé du pouvoir de la nouvelle chaire, un pouvoir bien supérieur à celui de l'acier. J'ai rêvé de fibres charnelles souples et coupantes comme la lame d'un rasoir à main. J'ai rêvé du corps ultime de la nouvelle chaire qui fera de mes actes passés l'action concrète de ma détermination.

Je reste en contact avec les cieux pour la gloire du Tout Puissant et pour la force de cette revanche qui m'a rongée jusqu'à l'os. Sans le corps de matière brute et dans un souffle je reviens sur terre pour voir le fruit de mes réalisations. Je contemple la désolation meurtrière d'une guerre inhumaine avec l'oeil intérieur du fantôme en chasse. Je suis l'âme en peine qui a quitté l'ailleurs du monde pour réparer les doutes et les remords d'une vie ancienne. Je vois maintenant avec cette vision d'un autre temps les nouvelles possibilités de résurrection. Je vois maintenant sans crainte le pouvoir de la réincarnation accomplir son oeuvre bienfaitrice. Il reste en moi l'expérience d'un lourd passé de victoires et de défaites. Je sais les erreurs à ne plus commettre, la méditation fut longue, douloureuse mais salvatrice. Voici donc le temps où je connaîtrai l'avenir sans mourir de la peur qui tiraille la connaissance.

Au-dessus du caveau, je vole avant de reprendre une forme. J'ai fait le tour du cimetière, je n'ai pas trouvé pas ma tombe intacte, le fossoyeur est passé et a fait un peu de ménage. L'ossuaire est immense, des milliers de crâne flottent sur une mer de carcasses vide de sens, os creux et squelettes à perte de vue. Vois ce que tu as fait de moi destin ! Je serais ton complice pour que s'accomplisse le renouveau du guerrier !

Je me condense dans la matière volatile, que ma force soit rude, que ma volonté soit faite sur la terre comme au ciel, que ma rage soit sanctifiée. Je reviens pour vaincre l'ennemi et ramasser les restes de mon armée morte dans l'épreuve du feu. Je vois les corps, des morts à perte de vue ! J'ai encore le goût amer de la défaite. Je sens mon corps se former à partir des restes momifiés. Je sens la naissance de l'ossature de combat, mes os se forment et mon crâne apparaît. J'ai le cerveau en feu, je suis à l'intérieur et hors du corps, je suis à peine plongé dans la matière vivante.

Je marche sur les cadavres de la désespérance, j'écrase les déchets organiques de la décomposition humaine. Je reste là, à la recherche de mon ancienne forme. O tête de mort que je ramasse, tu es mienne ! Qu'as-tu à me dire si ce n'est à peine la réponse de ton silence ? Où est donc le reste de mon corps, répond moi ancienne tête ! Je veux un dernier instant me lamenter sur les fragments épars de mes restes pour accomplir ce deuil de renaissance. Où est donc ma tombe ?Répond moi crâne blanchi par l'air sec de la fournaise. Je veux une réponse avant de repartir à la construction de ma nouvelle vie. Je veux connaître l'état de ma décrépitude passée avant de retourner à l'assaut de ce nouveau monde. D'où viennent ces membres désarticulés et ces momies sinon de mon ancienne armée ?

Les souvenirs s'incrustent dans les méandres de mon nouveau cerveau, je respire à nouveau l'air infecte de la décomposition. Je me condense comme l'eau qui passe dans le vide de l'espace, je gèle sur place. Je reviens sur terre avec une peau métallique et des organes de rechange, je suis issu de la matrice de mon propre univers. Je peux marcher sur mes pas sans prendre le risque de m'écrouler sous les souvenirs. Mais je ne peux pas descendre à l'intérieur d'une tombe qui porte mon ancien nom sans prendre le risque de voir ma vie se perdre à l'intérieur d'un somptueux caveau.

Ici je te regarde crâne immortel, je suis ton invité et toi tu me remercie en avalant ta langue. Etre ou ne pas être, telle est la question que tu m'as posée dans le temps ancien où sur le lit de mort tu as vu ta prochaine vie. Je te réponds avec une joie mêlée de crainte que les deux font la paire, ce sont les faces d'une même chose. Quand tu as été, tu ne l'étais plus pour moi !

Je pleure les larmes de mon coeur, je retrouve à mes pieds ce cadavre qui a été le mien, le corps à la dérive flottant sur la mer du désespoir. Il me reste un linceul pour recouvrir la honte de ma défaite. Je prends un bouquet de fleurs prophétiques pour embaumer mes propres ossements.

Je crains de défaillir au moment de prendre mes reliques dans la boite qui me sert de sarcophage. J'ouvre la tombe car elle ne mérite plus le repos, maintenant il est tant de retourner la terre pour faire vivre l'instinct de survie. Il faut que j'éparpille ma dépouille en hommage à mes soldats morts au front. Il faut que je recommence à partir de rien, le long apprentissage de la lutte.

J'entraîne ma carcasse, pour la mémoire du futur, pour le futur du passé, pour le présent ancien et l'ancien instant. Je remue ses muscles d'acier et ses fibres nerveuses pour atteindre le niveau d'antan. Je rêve d'être ce guerrier parfait et endurant, je rêve que la chance accompagne mes pas pour le restant de ma nouvelle vie. Mes yeux s'ouvrent et je regarde maintenant avec l'oeil nouveau, mon regard interne se pose à nouveau sur ma conscience en devenir.

J'attends l'éclair qui étincelle entre ces deux moments de gloire que sont les travaux forcés et la lutte armée. La plupart des armes ne sont pas dangereuse. O, vie ne me tue pas tout de suite, je ne tiens pas à faire de vieux ossements, mes armes et mon corps seront les instruments du renouveau.

J'ai le sens interne qui donne la prescience, il me donne la vision sur les orages de ma propre destinée mais je reste soumis à la mortalité maintenant, il faut reprendre des forces. Ma nourriture est faite de morceaux de ses os qui ont été les miens, broyés et malaxés dans l'eau pure d'une source du désert, je bois pour me rassasier.

Je ferme les yeux et retourne sur le terrain de bataille de mon passé. Je revois les nuages nucléaires, le souffle atomique et radioactif qui souffle entre mes oreilles. Je revois les corps calcinés et les membres brûlant. Je revois l'ombre projetée des vagues de chaleur successives et la carbonisation de la matière biologique. Je vois la radiation partir comme une bulle d'air qui explose dans toutes les directions. Je vois la couardise des politiques et des civils. Je vois la faiblesse du citoyen face au désastre à venir. Ces humains pour qui j'ai versé mon sang, ont-ils prêté l'oreille aux gémissements de mon âme quand je luttais avec les âmes en peine de mon armée ?

Je reste seul pour la reconstruction d'une noblesse perdue. Souviens-toi de moi quand jour après jour tu luttais sur le terrain mortel piégé par les bombes incendiaires et les gaz mortels. Je n'aurais pas du mourir, c'est du gâchis mais mieux vaut sourire en pleurant que mourir en se souvenant de moi. Si je meurs en essayant j'aurais vaincu ma peur mais si je vis en ne faisant rien j'aurais gagné ma place en enfer. Je ne veux plus faire ce cri primal de l'enfant qui naît pour la seconde fois sans conserver cette certitude de retourner sur les traces de la création humaine, sans perdre de vue cette civilisation maudite qui m'a fait tel que je suis.

La tête contre le sol, je renifle encore une fois cette terre de décomposition pour remettre à niveau mes sens neufs. Le sens de l'odorat revient doucement, ma langue tourne encore, elle apparaît, je revis doucement. Il me manque encore de la peau, si seulement je pouvais contrôler la condensation de ma chaire, si seulement je pouvais contrôler ma haine, je me reconstituerais plus vite. Il me faut le calme de la méditation sinon je n'arriverais à rien.

Je vais faire le tour de ce cimetière pour revoir le reste de cette humanité perdue comme le ferait l'historien qui scrute les recoins d'un passé de valeur. Nul amour, nulle émotion ne pourra être pire que cette réincarnation, nul réconfort ne pourra apaiser le feu qui brûle mon âme. Je reviens sur la terre pour la gloire du Tout Puissant mais avec la certitude d'une tache qui reste à accomplir. Encore une oeuvre qui dépasse ce que je peux supporter, encore une puissance de la vie qui me dépasse et qui fera de ma chaire un instrument que l'on jette après usage.

Je pleure les larmes de mon coeur, je pleure les larmes de mes vies. Je regarde ma carcasse se perdre à l’intérieur d'un horizon morbide. Je pousse cette plainte sur le sort infâme qui a fait de ma vie une tache non accomplie. Retourne-toi donc et regarde en avant, rien ne sert de se lamenter sur ce qui a été fait, le passé reste derrière, il reste comme figée dans la glaise du temps pour le restant du présent intemporel.

Je marche sur les cadavres de la désolation comme si je marchais sur le sable du désert aride d'une planète proche d'une étoile en expansion. Je navigue sur les eaux de la pestilence car je n'ai plus le choix, dorénavant je redeviens ce mortel plus qu'humain qui sort les dernières capacités de la vie pour se prouver que l'esprit contrôle la matière à un niveau encore jamais atteint.

Encore une trace de pas, encore une trace de vie, je reste assis là pour méditer une dernière fois sur la civilisation qui a fait de moi le monstre tueur, le soldat parfais que je redeviens au grès de la force de la nature. Le monde dépasse ma connaissance, il y a plus de chose, sur la terre et au ciel que ne peux en contenir mon imagination. Je reste seul à étudier la conscience contemplant l'origine de sa propre création. Je prie pour que la vie me laisse utiliser le temps comme l'instrument qui me permet de replier l'espace.

La réalité dépasse le rêve, la réalité dépasse mon cauchemar. Jamais je n'aurais imaginer qu'il existait un monde en dehors du monde, qu'il existait une réalité entre la réalité. Je reste un aveugle éblouit par les multiplicités, je me fige devant le spectacle d'une réflexion incapable de se représenter l'indicible.

Les larmes coulent sur mon nouveau visage et deviennent mise en garde, je ressens la douleur de l'incarnation. Je ressens à nouveau la faim qui me déchire les entrailles, je redécouvre avec joie l'horreur de ma mortalité.

J'étais une vapeur sans densité traversant les espaces du monde astral. J'étais une âme en peine qui a recueilli les plaintes de millions de morts en devenir et de milliards d'êtres en péril. J'étais celui qui a perdu la guerre contre la folie de la civilisation. J'étais celui qui n'est pas parvenu à soigner le suicide collectif de sa propre famille, de sa propre terre, de son monde.

Je sens les craquements des mes articulations à mesure que je me rapproche de la sortie de l'ossuaire. Je sens toutes les fibres de mon corps faire ces concerts musicaux de la cacophonie grinçante. Je sens que je vais encore souffrir pour adapter la matière vivante à la survie en milieu hostile. Je vais encore m'entraîner et gonfler ma carcasse pour que la résistance se produise. Comme l'artisan qui répare une mécanique de précision je dois absolument jeter un oeil critique à l'élaboration de ma nouvelle fonction guerrière. J'ai des démangeaisons dans les fibres musculaires, je les étire pour qu'elles disparaissent, je m'étire en longueur pour faire de mon corps cette arme du futur.

Je masse mes blessures, je pleure encore sur la matière biologique qui me sert de réceptacle.

Prisonnier dans un étau, je cherche à respirer au grand air comme le fauve en cage qui regrette la liberté des grands espaces. Je suis cet oiseau de proie enchaîné par les pattes dans le refuge zoologique des prédateurs en voie d’extinction.

Je garde l'espoir qu'il reste l'espoir de vivre libre en dehors des tentations de la rancune.

Je garde l'espoir qu'un jour je sortirais complètement durci de la crypte qui m'a fait naître.

Mon oeil rumine l'expérience de la vie et du haut de cette sagesse meurtrie je scrute l'horizon d'une façon toute nouvelle. Mon regard porte au loin, je ne suis plus gêné dans la méditation, je dégage d'un revers de main toutes les scories de l'incompétence. Je n'ai pas besoin de réflexion, juste de l'action concrète et efficace sur le terrain de bataille.

Si l'oeil intérieur oeuvre de concert avec mes yeux de la nouvelle chaire je serai un maître dans la prescience. Je serai le chevalier qui ne peut que remporter la victoire. Je me souviens des paroles que nous chantions avant le combat :

C'est par ma seule volonté que mon esprit se meut, c'est par l'imagination que la pensée s'accélère, les forces reviennent et la puissance de vie gronde. Je serais le combattant qui rétablira la paix, je serais le guerrier qui survivra à tous les pièges, je serais le diplomate qui dénouera toutes les situations, je reste et serai l'homme qui ne faiblira pas devant l'épreuve. Dans le combat, il ne faut jamais être au coeur du conflit sous peine de devenir aveugle, il faut garder cette double position visuelle entre l'action concrète et le retrait pour l'analyse, sinon la perte stratégique est au bout de la souffrance. Prendre ses précautions pour éviter de miser toute sa force sur un seul objectif, tâter le terrain et prévoir des plans de secours, construire des plans à intérieur des plans, éviter le pire avant que la situation se dégrade et surtout prévoir l'imprévisible pour provoquer l'éveil de l'adaptation de survie.

Mais si le danger est là, mieux vaut faire l'acte désespéré plutôt que de se laisser aller vers la décrépitude, mieux vaut faire n'importe quoi plutôt que rien. Toute action pour améliorer une situation désespérée sera la bienvenue puisque seule l'inaction et l'attente peuvent encore l'aggraver.

Je suis entré dans la période d'incertitude, je pénètre le doute créatif pour que la rigueur pave mon chemin, la pensée en mouvement et la puissance de la vie fera le reste. Le doute se profile et devient mise en garde, je respecte les expériences des morts.

J'apporte une réponse à mes préoccupations. J'apporte l'énergie à une pensée moribonde. Je bouge pour me prouver que je serai vivant dans le temps à venir. C'est au pied du mur que l'on voit le mieux l'obstacle, c'est le dos au mur que l'on reconnaît le sacrifice.

J'ai perdu la vie pour une mission impossible, je suis devenu fou dans la tentative, je n'ai pas trouvé la bonne méthode, je n'ai pas eu l'eclair de génie qui dérègle le cerveau pour me sortir de l'horreur de la défaite. Je reste seul dans cette désolation pour me lamenter sur ce qui aurait pu être :

Nous sommes les Hommes creux, la tête pleine de vide, les vents de la colère y sifflent une mélodie étrange. Les voix brisées des chuchotements s'éparpillent dans la mémoire. Les pathétiques comportements de nos actes désarticulés s'enlisent dans la déprime. Statues vides de sens, empilées les unes sur les autres, nos carcasses se corrodent. La tempête nous pulvérise, il reste de nous que du sable. Les vents nous contemplent, les cris nous éparpillent, les dunes restent. Le juste prix de la victoire est dans le sacrifice de sa conscience sur le brasier de la peur. La peur, je la contrôle comme le chevalier sur sa monture au galop. Ce que je crains le plus c'est la torture de la vie, les épreuves de la nouvelle chaire et les sens qui tiraillent une conscience prête à exploser.

Plus j'avance dans l'ossuaire et plus je me rapproche de la surface du marécage, je nage dans cette eau visqueuse qui emprisonne mes pensées. Je ne fais que tracer ma route, je passe entre les vagues des paroles brûlantes comme le poisson surnageant sur l'huile bouillante.

Evitons l'erreur de la stagnation et le gouffre des sables mouvants, plus je bouge pour nager à la surface de ma peur et plus je m'enlise. Qui me sortira de l'échec ?. Evitons d'atteindre les limites de sa propre pensée et de se raidir comme l'eau qui gèle à basse température. Restons agile et vif pour construire cette pensée qui attise le mouvement de la connaissance. Reste l'esprit clair car il est temps de construire des plans à l’intérieur des plans.

Je pèse le poids de mes mots, je pèse le poids de ma pensée, la température augmente et la lumière de l'étoile nouvelle éclaire l'enfance de ma vie. Mon premier cri était celui qui vient de l'au-delà, celui de la réincarnation. Mon second cri était celui d'un nouveau-né ouvrant les yeux et serrant les mains avant de s'écrouler. Mon troisième cri était celui de la douleur de la nouvelle chaire, celles des articulations et des muscles froissés, le corps en lambeau parfumé à la mort essayant de recoller les morceaux. Mon dernier cri était le souvenir d'une vie passée à la conquête d'une absolue victoire sur soi-même.

Retourne l'oeil intérieur sur ton chemin et évite la lumière aveuglante de la pensée contemplative, soulève les voiles de l'indicible. Il y a les perplexes et les convaincus, ceux qui doutent toujours et ceux qui croient toujours. Je suis l'hybride qui passe du doute à la croyance pour dégager les obstacles, les rocs qui dévalent de la montagne pour m'écraser.

Réduire au maximum l'horreur avant qu'elle nous rende liquide, qu'elle nous dissolve. Il faut faire le premier geste sinon la jambe gèle sur place et l'on retourne à la terre. Il ne faut qu'un souffle pour que ma réalité corporelle s'écroule comme une statue de sel.

La vie tout entière est absorbée par cette tache, voir sous les débris le secret caché. Parfois la gêne occasionnée se brise sur les remparts de la raison, c'est le subterfuge de l'évitement conscient qui écarte ce souvenir du monde perdu dans la désolation. Le monde se brise, la planète de mon enfance se meurt dans les crises de croissances, elle souffre de la maladie humanité qui la ronge comme un cancer. Je vois ma planète brisée, réduite au désert de pierres. La sagesse et le poids des mots ne parviennent pas à restituer cette vision intense à la limite de ce qu'un humain peut supporter avant de mourir dans une douce folie protectrice.

Ferme les yeux, ferme la porte de la connaissance, je serai à toi, choisis la honte, choisis la peur, je serai en toi. En lieu et place de tes ossements perdus, sois mon attache, sois mon repère avant que l'oubli me déverse sur la surface de la terre désolée et crevassée par des siècles de sécheresses.

Le spectacle doit continuer, abandonné et nu je marche seul vers la sortie du labyrinthe. Je ramasse encore les ossements les plus durs pour m'en servir comme de la premier arme primitive, comme l'a fait mon ancêtre perdu dans la morne savane.

Le spectacle doit continuer, affamé et l'oeil creux je gesticule avec mes bras pour me réchauffer et me prouver que tout cela à un sens. Je prie pour ne pas regretter la réincarnation et pour supporter la vie héroïque qu'il me reste à accomplir.

Je vais avertir les vautours pour qu'ils me fassent une haie d'honneurs. Les oiseux de proie et les nécrophages affamés devront faire de moi un élu. Je suis le survivant de l'hécatombe, je suis le renouveau de mon espèce.

Il y a les anxieux et les audacieux, ceux qui doutent toujours et ceux qui osent toujours, la peur se cache et la honte devient mise en garde. Comment faire pour construire cette armée de cadavres qui ira me rejoindre vers ces nouveaux terrains de bataille ? Comment faire pour rallier à moi les troupes d'élites sans leur demander le sacrifice ultime ? J'ai confiance en mon pouvoir de persuasion, j'y crois tellement que je lutterais de toutes mes forces pour relever mon armée de la tombe. Je me suis réincarné le jour de l'anniversaire de ma mort ancienne, acte hautement symbolique qui me sert de point de repère entre les deux mondes.

J'écoute et poursuis mon chemin, je respirerais bientôt l'air putride et contaminé de l'humanité qui se suicide.

Voilà que j'entends la musique du Tout Puissant, c'est ainsi qu'il me guide vers la sortie du labyrinthe.

Voilà que je traverse encore un autre nuage aussi dense que ma crainte de revivre la souffrance de mon ancienne vie.

Voilà que j'écarte de mes bras les vapeurs des exhalaisons morbides des corps en décomposition depuis des siècles dans le marécage de la mort lente et de la momification instantanée.

Voilà que les gouttes de sueurs se forment en fine gouttelette sur les muscles secs et sans peau de mon torse.

Voilà que je souffle et expectore dans la douleur la création de mes poumons.

Je me reforme, j'ai besoin des particules élémentaires pour atteindre cette densité parfaite qui ferra de la nouvelle chaire une arme vivante. Bave et oeil vitreux formez-vous car j'ai besoin de tous mes membres pour continuer à explorer le labyrinthe de la résurrection.

Mon cerveau est enfin prêt pour la grande envolée de souvenirs, pour le fonctionnement de la mémoire hors temps, pour le retour de l'histoire personnelle et le départ de l'oubli. Mon esprit et prêt à se souvenir des visions de ce monde infâme sur le bord de sombrer vers l'abysse infernal de l'apocalypse.

L’émotion revient de l'au-delà et ranime mon être endormi par les images violentes d'une réalité implacable. La réalité dépasse mon imagination j'ai besoin de me souvenir de mes actes pour me donner l'impulsion vers la survie.



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