LE CAVEAU ( MEL VADEKER, 1999)
Deuxième partie.

J'ai vu les plus grands guerriers de ma génération, affamés, hystériques nus, se traînant dans les champs et les vapeurs brûlantes du napalm à la recherche de leur restes.

J'ai vu les plus grands stratèges de la planète se mordre la langue jusqu'au sang pour se convaincre qu'ils n'assistaient pas en rêve à la fin de l'humanité.

J'ai vu les jeunes soldats initiés pas la drogue hallucinante à la recherche du dernier réconfort avant l'étape ultime vers le saut de l'ange final.

J'ai vu les survivants du grand cataclysme, une décharge vivante rampant sur les restes des décombres de la civilisation comme des pantins désarticulés.

J'ai vu la pauvreté, les haillons, les hommes creux et desséchés par la surprise et revenir à des instincts bestiaux pour la reconquête de leur territoire de chasse.

J'ai vu les cerveaux arrachés des chiens par des hommes en manque de nourriture, vider les organes de leurs animaux de compagnie pour nourrir le reste de la famille.

J'ai vu des âmes généreuses offrir leur carcasse à la science et leur dépouille comestible à la société des résidus et d'insectes.

J'ai vu des mercenaires en scaphandre de combats au visage buriné pas la chaleur fumer à l'ombre des forteresses volantes, accolés le dos au mur et respirant des vapeurs anesthésiantes.

J'ai vu les universitaires et les scientifiques mettre leur cerveau à nu, à la recherche d'une solution de paix sous les yeux des anges déchus et titubant sous le poids des pêchés de l'homme.

J'ai vu les enfants traverser les écoles à la recherche de leur professeur en décomposition pour en conserver le souvenir par la momification.

J'ai vu des généraux se faire expulser des armées pour folie et pour publication de tracs de reddition obscènes sous les toits des ambassades.

J'ai vu les insectes rampant se délecter de la moisissure vivante qui poussait sous la peau de bébés mort-nés et jetés par les fenêtres des hôpitaux.

J'ai vu les amants blottis sous les matelas, respirer par le masque à gaz et suintant l'horreur de mourir la bouche ouverte sous les émanations et écoutant la terreur à travers le mur.

J'ai vu les policiers arrêtant les drogués des bas quartiers et revenir avec une ceinture pleine de liqueur orangée pour la délectation matinale.

J'ai vu les clochards, anciens cadres dirigeants et de bonne famille ne pas se remettre de la chute sociale et pleurant autour d'un feu de camp en grillant un rat sur un bout de bois.

J'ai vu des jeunes filles en manque d'amour, s'inventer des rêves, des cauchemars avec de la drogue et marchant les yeux rivés sur leurs orteils comme des créatures flasques.

J'ai vu les rues encombrées d'ossements, les torrents de boue se déverser pour mélanger la soupe de cadavres dans un vacarme sans nom et les corps bondissant et frémir hors de la vase.

J'ai vu les jardinets et les parcs pour enfant se transformer en charnier et cimetière de fortune où l'on brûlait jour et nuit la viande de l'homme pour éviter qu'elle se transforme en viande molle porteuse de la maladie.

J'ai vu des estropiés, des mutilés se faire greffer des squelettes de métal et des broches en acier trempé pour lutter à arme égale avec les cannibales.

J'ai vu des mystiques illuminés, des sages se réfugier chez les sans-abri et les dortoirs des hôpitaux pour redonner la foi aux survivants dans l'intervalle de l'errance humaine.

J'ai vu les pillards de l'apocalypse enragés, par-dessus les toits des magasins, arracher les portes des boutiques et dévaliser ce qui reste de l'illusion de l'argent, du papier de monnaie sans valeur.

J'ai vu les fumeurs de substance grise se baladant dans les ruelles avec des voitures défoncées sous le regard brillant de la pleine lune.

J'ai vu les vibrations du soleil faire danser les femmes nue d'extase sous l'effet de l'ivresse et psalmodiant des litanies pour le retour du messie.

J'ai vu les poubelles de chaque ville déborder sous la végétation luxuriante et la vermine grouillante.

J'ai vu les corbeaux se repaître des orbites des cadavres de la place centrale et se délecter de morceau de choix.

J'ai vu des poètes s'enchaîner sous les rames du métro aérien, les yeux plein de larmes et l'âme vidée de son contenu, jusqu'à ce que le bruit de la survie des errants et des enfants pleurant dans la nuit les détournent de leur folie poétique.

J'ai vu des enfants courir sur des cendres brûlantes, marchant l'oeil rivé sur la plante des pieds de leur voisin pour guetter la moindre trace de cloques.

J'ai vu des marins qui sombrèrent dans la déprime toute la nuit à la lumière de l'éclairage blanc du sous-marin, restant assis dans leur couchette à jouer aux cartes pour oublier la dérive.

J'ai vu les vieillards poser des pièges sous les décombres pour attraper les animaux perdus et en faire le festin des soirées de la maison de retraite.

J'ai vu des chasseurs amateurs pénétrer sous l'éclairage lugubre du zoo dans les repères des antilopes pour déguster la chaire sanglante des bêtes tuées de leur propre main.

J'ai vu des musiciens imiter les craquements de l'apocalypse avec leurs instruments et chanter pour la délivrance de leur chant.

J'ai vu des philosophes parler sans discontinuer des jours durant sans dormir et buvant des litres de boisson excitante pour maintenir la diarrhée verbale.

J'ai vu un bataillon perdu de mercenaires maniaques, en manque de femmes et au dialogue obscène, faire une razzia dans une ferme à la conquête de jeunes filles en panique.

J'ai vu des cancéreux en phase terminale d'une radiothérapie postnucléaire, hurlant et vomissant des souvenirs, des anecdotes visuelles et sonores avec les liquides suintant des plaies béantes en décomposition rapide dans les chambres-prisons et condamnées des hôpitaux.

J'ai vu des intellectuels sportifs courir dans les ruelles dévastées des campus universitaires pour déverser leur ignorance dans les bibliothèques en ruine et rechercher les livres qu'ils liront jusqu'à la dernière heure de leur cerveau suintant par leurs oreilles.

J'ai vu les migraineux dévaliser les pharmacies avec des armes de poing et menacer le vendeur de remèdes pour des doses de tranquillisants de longue durée.

J'ai vu de grands génies errant des journées entières sans rien connaître de leur destination, se demandant ou aller et laissant derrière eux des cendres fumantes et des coeurs brisés.

J'ai vu des amoureux partir en fumé sous la chaleur de la bombe atomique au moment magique du dernier baiser passionnel.

J'ai vu des enfants regarder des écrans de jeux vidéos sans images et sans le son et regretter la bouche ouverte les merveilles de la technologie de loisir.

J'ai vu des usines d'élevage de bestiaux se faire détruire d'un seul impact de bombes incendiaires et faire cuire la viande en plein air pour un banquet de dernière minute.

J'ai vu des religieux prier sur les toits de leur chapelle parce qu'ils sentaient le sol vibrer au rythme de leurs prières comme si le tout puissant répondait.

J'ai vu les femmes contemplatives aux regards radieux, les yeux vers le ciel, guettant les premiers signes des anges gardiens protecteurs.

J'ai vu de grands esprits croire qu'ils devenaient fous en réalisant que la lumière au loin était la capitale du pays qui luisait dans une extase apocalyptique.

J'ai vu les cendres de l'hiver nucléaire recouvrir les maisons, les toitures, les villes du monde et étouffer dans la terre la nourriture végétale.

J'ai vu les loques humaines se traînant de refuges en refuges pour une soupe chaude ou tiède et déguster des restes de chiens bouillis.

J'ai vu des familles rêver de la terre promise et faire des projets de voyage sans espoir et d'embarquement imaginaire vers les terres lointaines au-delà des mers.

J'ai vu des dépressifs se jeter nu dans les volcans et éruption et ne laissant derrière eux que le testament de la résignation et quelques vêtements délavés par la pluie acide.

J'ai vu des pacifistes distribuer des tracts lyriques après la chute de leur ville, parcourant les ruelles désertiques pour le renouveau de l'espèce humaine en implorant pardon pour les fautes des autres.

J'ai vu des sportifs courir comme des fous dangereux pour éviter de se faire manger par les cannibales urbains.

J'ai vu les êtres cyniques et égoïstes faire du commerce avec les corps des cadavres, ouvrir une charcuterie humaine et clandestine pour les cannibales, découper et servir cette viande nouvelle dans les restaurants pour un important taux de trocs.

J'ai vu les mutants et les hybrides malformés jouant à attraper le plus faible d'entre eux pour le dévorer vivant faute de nourriture saine et de cadavres humains.

J'ai vu des hommes piégés dans une trappe pour bête fauve se lacérer le visage sous le choc de l'émotion et espérant ne pas tomber sous les crocs des moins qu'humains.

J'ai vu des journalistes au chômage faire des enquêtes de voisinage pour vendre les informations locales et répandre des rumeurs en échange de dose d'euphorisants.

J'ai vu des jeunes hommes se faire des tatouages sur tout le corps et créer une secte en l'honneur du dieu de la guerre qui a fait de la terre ce qu'elle est.

J'ai vu les centres de recherches militaires des grandes puissances en effervescence sous la folie créatrice d'une nouvelle arme secrète.

J'ai vu les nouveaux germes viraux contaminer des villes de plusieurs millions d'âmes en l'espace de quelques semaines et ne rien laisser au hasard.

J'ai vu des savants délirer dans leur laboratoire et calculer la puissance dévastatrice qui a ruiné des millénaires d'évolution biologique et diriger le sort du monde vers l'extinction des espèces.

J'ai vu des rivières de mots, de textes se déverser sur les lacs de larmes des lecteurs et des bibliothécaires muets se tirer les cheveux de rage devant l’ampleur du désastre culturel.

J'ai vu des grands savants prédire l'avenir au coté de prêcheurs et devins de mauvais augures et prophétiser les pires calamités pour les survivants.

J'ai vu les rescapés des bombardements tremblotant dans la fosse commune parmi les squelettes blanchis et les insectes.

J'ai vu des femmes pousser des cris aigus de douleur à l'idée de se savoir enceinte lors de la visite médicale obligatoire et rêver d’un avortement rapide pendant la gestation du mutant.

J'ai vu des cuisiniers cannibales servir la soupe aux ignorants et se faire arrêter par la brigade sanitaire pour empoisonnement par imprudence.

J'ai vu des moines à la tête rasée se traînant sur les toits des églises, gesticulant nus, montrant leur partie génitale, et se faire matraquer par la police militaire pour obscénités sur lieu de culte.

J'ai vu des amants dans le parc dans le feu de la passion, leur corps enlacés et complètement desséchés par la vague de chaleur de la première attaque atomique sur la ville.

J'ai vu des mères de famille se battre pour un morceau de pain dans les jardins publics au milieu des roseraies brûlées et se répandant dans la poussière pour une miette de mie.

J'ai vu des humoristes secoués de hoquets interminables et essayant des plaisanteries pour faire rire la foule mais qui une fois le spectacle terminé se retournèrent contre le mur la face en sanglot.

J'ai vu des intellectuels se réchauffer la nuit en brûlant toutes les pages des oeuvres littéraires du siècle dans un immense bûcher.

J'ai vu des amants qui copulèrent dans l'extase, insatiable, arrêtant juste le temps de fumer une drogue aphrodisiaque avant de s'évanouir avec une vision de volupté dans les spasmes répétés d'une éjaculation de conscience.

J'ai vu des jeunes filles se jeter nue dans le lac pour un bain de minuit improvisé au milieu des cadavres flottant et rêver d'un suicide rapide.

J'ai vu des myriades de voitures incandescentes sur les autoroutes essayant de fuir dans une fièvre anxieuse la cité et son urbanisme calciné.

J'ai vu des émeutes raciales et des tentatives de meurtre dans les terrains vagues pour d'obscures raisons de jalousie et de vol de nourriture.

J'ai vu les infirmières improviser des toilettes publiques dans les égouts des hôpitaux pour éviter la contamination.

J'ai vu des chirurgiens en combinaison courant d'une morgue à l'autre pour récupérer des organes valides et procéder à une greffe d'urgences ou à des expériences secrètes.

J'ai vu des zombies sortir des caves, le visage émacié par une diète prolongée et un régime végétarien se repaître des restes de la viande hachée et cuite des victimes de la guerre.

J'ai vu les réfugiés de l'horreur marcher les chaussures pleines de sang le long des autoroutes illuminées par les lumières des voitures en feu.

J'ai vu les affamés se ruer dans les avenus en direction des bâtiments de l'administration centrale, réclamant et hurlant les bras levés avec des barres de métal près à battre à mort le moindre fonctionnaire.

J'ai vu des sectes organiser des drames-suicides sur les toits des buildings et faire sauter les fidèles hystériques dans le vide pour rejoindre leur créateur sur une planète inconnue.

J'ai vu des clowns faire une animation pour les enfants cancéreux, imiter le goinfre du banquet et mimer la digestion d'un repas très copieux.

J'ai vu des romantiques sangloter leur amour perdu, leurs bras pleins de souvenirs, la tête pleine de mauvaise musique et fredonnant un opéra dramatique.

J'ai vu des vagabonds assis sous les ponts et se levant juste pour cracher leur haine du monde aux passants.

J'ai vu les prêtres improviser dans les églises des chants religieux pour les âmes en peine et pour les êtres perdus dans la cité, priant en coeur pour une aide divine et psalmodiant des versets mystiques.

J'ai vu des cuisiniers faire bouillir des pieds, des têtes, des pattes de toutes sortes d'animaux sauvages et domestiques en priant pour ne jamais le faire avec des restes humains.

J'ai vu des hérétiques détruire toutes les traces visibles de la mesure du temps, écraser les montres intactes, faire brûler les horloges publiques, arracher des bras des morts les bracelets et priant pour le renouveau sur terre de l'éternité hors du temps.

J'ai vu des artistes mélancoliques se taillader les poignets plusieurs fois sans succès pour se vider de leur inspiration et abréger les lamentations d’une oeuvre perdue.

J'ai vu des ministres et des hommes politiques brûlés vifs dans leur costume de représentation et mourir dans la plus grande dignité sans proférer d'injures ni maudire leur gouvernement.

J'ai vu des dépôts d'armes exploser d'une seule fois en une gerbe étincelante visible à des centaines de lieux de là et briller jusque dans l'espace comme une gerbe de feu en expansion.

J'ai vu des panneaux de publicités pour des campagnes de propagandes servir de parapluie et de couchettes pour les insectes rampants et les enfants abandonnés des orphelinats.

J'ai vu les chefs intelligents se faire écraser la tête par une image de la réalité, par les horreurs de la vie inhumaine.

J'ai vu des soldats quitter leur scaphandre de combat, s'en allant à pied vers une église quelconque comme touchés dans leur coeur par la révélation divine.

J'ai vu des fantômes hébétés chantant le désespoir dans le ciel des camps retranchés et des dépotoirs vivants de la grande explosion finale.

J'ai vu des délinquants pleurant par les fenêtres des prisons se cogner la tête contre les murs pour rester encore vivant dans leur cage de béton.

j'ai vu des voyageurs tomber par les fenêtres du métro, se contorsionner comme des limaces sur les rampes d'escalier sous le choc d'une foule écrasante et du flot de panique.

J'ai vu les camions de pompier et les ambulances se perdre dans les décombres, faire marche arrière victime de la peur des lieux.

J'ai vu les loqueteux dans des vêtements crasseux se réjouir de la fin du monde et savourer leur vie d'expérience de survie dans l'extrême pauvreté avec un complexe de supériorité.

J'ai vu des alcooliques boire et vomir dans les trottoirs de la capitale en entraînant derrière eux une foule de désespérés

J'ai vu des fous se boucher les oreilles pour éviter que les râles et les sanglots ne contaminent leur cerveau.

J'ai vu les tombeaux ouverts des cimetières prêts à recevoir la famille complète et même sortir une boite pour l'animal de compagnie.

J'ai vu des soldats monter la garde devant la réserve fédérale de nourriture et comploter pour vider une part de l'entrepôt pour alimenter le marché noir.

J'ai vu les héros fatigués sans aller tristement sans retourner la tête vers le repos du guerrier qui n'est pas loin du repos éternel.

J'ai vu des filles tombant à genoux dans les cathédrales, implorer la venue du messie et prier dans la lumière blafarde des bougies jusqu'à en avoir l'âme illuminée quelques secondes.

J'ai vu des prisonniers se fracasser leur cerveau sur les barreaux des cellules pour oublier le sort immonde et la condamnation à mort de la solitude.

J'ai vu des chamans mourir d'intoxication de champignons hallucinogènes par erreur de dosage et d’autres se jeter dans la dépendance morbide sans honte.

J'ai vu des tribunaux populaires statuant sur la santé mentale des politiciens et réclamant des électrochocs et des lavages de cerveau.

J'ai vu des chefs militaires se présenter le crâne rasé devant les portes de l'asile et chantant des discours suicidaires pour réclamer une lobotomie libératrice.

J'ai vu des amnésiques s'échanger des doses de toxines pour conserver les restes de souvenirs sans regrets.

J'ai vu des enfants et des nouveau-nés mourir de solitude dans les dortoirs des maternités.

J'ai vu des écrivains jeter toute la littérature de leur bibliothèque par la fenêtre de leur taudis.

J'ai vu des étudiants évacuer les universités en chantant un air triste et en laisser les professeurs derrière eux complètement ravagés par la honte de la civilisation.

J'ai vu des physiciens se perdre dans des calculs complètement ésotériques des équations et se noyer dans la soupe animale du temps.

J'ai vu des troupeaux entiers d'hommes, de femmes et d'enfant en transe, courant dans les rues glacées, obsédées par l'éclair brusque de l'explosion fulgurante de la bombe à plasma et vibrant encore de l'air en feu.

J'ai vu des poètes pratiquant des brèches lyriques dans le temps et l'espace, pressurer leur âme pour faire jaillir l'essence de la conscience dans des images poétiques juxtaposées et qui piégèrent le noyau du soi originel par des verbes élémentaires, des odes funèbres pour la conscience collective d'un monde agonisant et exhalant son dernier souffle de vie.

J'ai vu des musiciens jouant un opéra comique sur le même plan vibratoire que l'onde de choc supersonique d'une déflagration explosive d'un nuage de plasma et recréer la syntaxe, la mesure de la pauvre pensée humaine dépassée par les événements d'une force naturelle et cosmique.

J'ai vu les chefs d'états des grandes nations de ce monde tremblant de honte dans leur bunker antiatomique, restant figés, silencieux et cherchant une confession de désespoir, une dernière absolution auprès de leurs chefs d'états majors.

J'ai vu des mystiques vibrer au rythme d'une prise de conscience, d’une pensée explorant l'espace à la recherche d'une source de vie et de la preuve de l'existence de la sagesse.

J'ai vu le philosophe avec le coeur arraché par sa propre science et donnant à manger son corps aux idiots pour un millénaire.

J'ai vu des enfants retourner à l'état d'animaux sauvages, perdre leur humanité et sombrer dans l'hygiène préhistorique.

J'ai vu les hommes se soumettre à la barbarie, tuer et violer sans discernement ni conscience au milieu des restes de la civilisation.

J'ai vu les êtres bouillir dans le fleuve espérant se protéger de l'onde de choc et se rafraîchir mais victime de dernière heure de la fournaise.

J'ai vu des cobayes humains servir de viande de boucherie à des recherches militaires top secret.

J'ai vu le regard humilié des chefs d'états des grandes puissances, le regard perdu dans la désespérance d'une solitude sans nom d'un refuge blindé d'une forteresse souterraine.

J'ai vu la moitié de l'humanité regretter de ne pas être sous les cendres comme le reste des morts de l'apocalypse.

J'ai vu les maladies proliférer sur les décombres des refuges et des foyers des survivants, la maladie de la mort lente et des infections virales.

J'ai vu les jeunes filles en pleur se suicider par peur de connaître les horreurs de la survie et les mères sacrifier leurs nouveau-nés pour éviter le calvaire de l'amour maternel sous les décombres.

J'ai vu les jeunes hommes se terrer sous terre comme des rats et sortir brièvement pour respirer à l'air contaminé un coup de liberté perdu.

J'ai vu les survivants entassés, empilés les uns sur les autres sur des lits de bois et dormir les yeux ouverts pour ne pas rater le spectacle de la fin des temps.

J'ai vu des poètes heureux de voir la matière vivante de leur corps tenir debout et qui dansaient malgré les radiations profondes comme inspirés par une nouvelle musique.

J'ai vu les artistes perdre la mémoire pour éviter les regrets de la civilisation et les beautés violées par le cataclysme humain.

J'ai vu le trou béant et infecte de la grande attaque massive des bombes sur les plus grandes capitales du monde et la vitrification du sol sur des profondeurs considérables.

J'ai vu des soldats montant sur des navettes les conduisant sur le terrain de bataille, se répétant des citations perverties, des dialogues de vidéo et riant comme des fous.

J'ai vu des marchants d'armes se suicider devant l'ampleur du désastre, se faire un dernier moment d'extase au milieu des bombes incendiaires.

J'ai vu des journalistes ne faire aucun commentaire devant les reportages sur les réfugiés colonisant les parcelles de terrain vierge sur le pourtour d'un lac de déchets humains.

J'ai vu les soldats désespérés se mettre à prier le Saint-Esprit pour arrêter de voir le visage de l'horreur.

J'ai vu les hommes devenir liquide sous la pluie des neurotoxiques et des gaz de napalm du petit matin.

J'ai vu la planète se remettre d’un cauchemar en vomissant d'un jet une humanité qui déborde.

J'ai vu des hommes creux devenir des statues de sable et redevenir poussière après un vent de folie.

J'ai vu des zombies aux yeux creux déterrer des momies pour un banquet nocturne.

J'ai vu des humains nés poussières retourner à la poussière.



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