Chap I.1. Breve presentation de l'ethnomethodologie

ETHNOMETHODOLOGIE : REGARDS SUR UN TERRAIN INTERDIT
par Alexandra Schmidt

L'ETHNOMETHODOLOGIE OU LE CHAOS-MANAGEMENT(1) SOCIOLOGIQUE


[BabelWeb] [Revoir l'introduction] [ Table des matières ] [ Chapitre I.2] [Notes ] [Thésaurus ethnométhodologique ]


1. Brève présentation de l'ethnométhodologie

L'ethnométhodologie est considérée comme un courant novateur de la sociologie. Elle émerge dans les années 1950, avec les écrits de Harold Garfinkel(2), sociologue américain formé notamment à l'école de Talcott Parsons(3) et de Alfred Schutz(4). On retrouve les influences, en ethnométhodologie, de la théorie de l'action de Parsons, celle des considérations sur les processus interprétatifs et leur importance dans la vie quotidienne élaborées par Schutz, ainsi que l'influence de la phénoménologie en général, notamment avec son idée de l'intersubjectivité comme fondement de l'objectivité du monde.

L'ethnométhodologie se traduit par une certaine posture intellectuelle (Alain Coulon(5)), qui elle- même se caractérise par un certain regard sur la réalité sociale.

Une définition claire et succincte de l'ethnométhodologie a été donnée par Louis Quéré(6) dans Pratiques de Formation - Ethnométhodologies :

L'ethnométhodologie a développé un certain nombre d'outils conceptuels permettant de rendre compte de la réalité sociale, tels que l'indexicalité, la compétence unique, la membritude(7) (membership), la réflexivité, l' "accountability" (racontabilité)... Ce vocabulaire, propre à l'ethnométhodologie, est issu de sources diverses, telles que, par exemple, la phénoménologie (réflexivité), ou la linguistique (indexicalité, et même compétence(8)). Ces mots sont utilisés dans leur sens 'courant', ou bien leur sens peut être modifié par rapport à l'utilisation courante. (Ce chapitre sera consacré principalement à l'élucidation de ces 'sens' particuliers, avant d'en arriver à leur utilisation et leur fonctionnement par rapport à une étude précise, en chapitre II).

L'ethnométhodologie va à l'encontre de l'approche sociologique traditionnelle, en ce sens qu'elle se refuse à réifier le fait social, qu'elle invalide les prétentions généralisantes, voire universalistes, de cette sociologie. En même temps, elle se situe dans une continuité de la pensée occidentale, qui se reflète aussi bien dans les sciences humaines (philosophie, sciences sociales, linguistique...) que dans les sciences physiques.

L'originalité de l'ethnométhodologie réside aussi bien dans la posture intellectuelle qu'elle requiert, que dans les enjeux qu'elle fait surgir, et qui dépassent largement le cadre des sciences sociales proprement dites.


Notes

 
               1   Chaos-Management : terme donné par Peter et
                   Waterman, auteurs d'ouvrages sur la science de
                   la gestion, à un mode de gestion adapté à
                   l'hypercomplexité des entreprises modernes. Se
                   référer au point 7 du présent chapitre.
                   Qu'il soit simplement noté que le terme, ici,
                   ne doit évoquer aucune connotation négative du
                   fait de la présence du mot de "chaos" - il
                   s'agit d'un parallèle tracé, comme je l'ai fait
                   ailleurs dans ce mémoire, entre une approche
                   nouvelle d'un domaine où existaient jusqu'à
                   présent des "écoles de pensée", et l'attitude
                   ethnométhodologique, qui permet également un
                   regard nouveau..
               
               2   Harold Garfinkel, Professeur à l'Université de
                   Californie à Los Angeles, dont l'oeuvre
                   principale, les "Studies in ethnomethodology",
                   parue en 1967, constitue l'ouvrage de référence
                   de l'ethnométhodologie.
               
               3   Talcott Parsons, l'une des figures dominantes
                   de la sociologie américaine du vingtième
                   siècle, connu notamment pour sa théorie de
                   l'action. Garfinkel fut son élève.
               
               4   Alfred Schutz, sociologue viennois dont la
                   carrière s'est poursuivie aux Etats-Unis après
                   l'annexion de l'Autriche. Schutz est l'un des
                   précurseurs principaux de l'ethnométhodologie,
                   notamment en ce qu'il étudie les processus
                   d'interprétation dans la vie quotidienne.
                   Schutz a également entretenu des relations de
                   travail avec Edmund Husserl, fondateur de la
                   phénoménologie, dont on retrouve également
                   l'influence en ethnométhodologie.

               5   Alain Coulon, Maître de conférences à
                   l'Université de Paris VIII et auteur du "Que
                   sais-je" sur l'ethnométhodologie.
               
               6   Louis Quéré, dans  Pratiques de Formation -
                   Ethnométhodologies, Formation Permanente,
                   Université de Paris VIII, 1985 (recueil de
                   textes), p.23

               7   Membritude - néologisme que j'ai adopté à
                   titre pratique pour traduire le mot anglais
                   "membership", qui se traduirait normalement en
                   français par "qualité de membre". Cette
                   expression étant d'utilisation très lourde du
                   point de vue syntaxique, alors que ce n'est pas
                   le cas pour l'équivalent anglais (qui de plus
                   est le terme originel!), il m'a paru juste
                   qu'on puisse bénéficier d'une semblable
                   souplesse en français, d'autant que rien,
                   morphologiquement, ne s'y oppose.
               
               8   Compétence - je me réfère à la notion chomskienne
                   de compétence, en linguistique,
                   définie comme "l'ensemble des possibilités qui
                   lui [sujet parlant français] sont données par
                   le fait, et par le fait seulement, qu'il
                   maîtrise le français : possibilité de
                   construire et de reconnaître l'infinité des
                   phrases grammaticalement correctes,
                   d'interpréter celles d'entre elles (en nombre
                   infini aussi) qui sont douées de sens, de
                   déceler les phrases ambigu‰s, de sentir que
                   certaines phrases, éventuellement très
                   différentes par le son, ont cependant une forte
                   similitude grammaticale, et que d'autres,
                   proches phonétiquement, sont grammaticalement
                   très dissemblables, etc." (Ducrot/Todorov,
                   op.cit. p. 158)
 

[BabelWeb] [Revoir l'introduction] [ Table des matières ] [ Chapitre I.2] [Notes ] [Thésaurus ethnométhodologique ]