Pratiques de formation (analyses), Ethnométhodologies, ( Université de Paris VIII), 1985.

numéro spécial de la revue Pratiques de formation, numéro double 11-12.

Sommaire du numéro 11-12
 
Section I

ENJEUX

1,0 - PRÉSENTATION DU THEME
(par Yves Lecerf)

Pourquoi écrit-on des recueils de textes ethnométhodologiques ? Pourquoi y a-t-il des colloques d'ethnométhodologie ? Pour quelles raisons des chercheurs envisagent-ils d'adopter l'ethnométhodotogle comme cadre des études qu'ils conduisent sur des terrains variés? Quels seraient les enjeux impliqués par une éventuelle extension de l'audience actuelle de l'ethnométhodologie ?

Bien que nombreux, les textes des contributions que nous avons reçus pour cette revue ne couvrent évidemment pas de manière exhaustive le champ des réponses que l'on peut apporter à de telles questions ; et de toute manière si tel avait été le cas, la place aurait largement manqué pour en rendre compte. Nous nous sommes en tout cas limités ici à relever un éventail représentatif de quelques prises de position très typiques.
L'ethnométhodologie a-t-elle lieu d'être considérée comme

a) Un mode d'étude du monde social " tel qu'il est en train de se faire" ? Un très court et très beau texte reçu de Louis Quéré présente ce point de vue, qui mérite certainement de figurer en première place dans une liste d'enjeux de l'ethnométhodologie. Cette contribution est tirée d'un document plus long qui est un interview de Louis Quéré par Georges Lapassade, interview, qu'avec l'autorisation des auteurs, nous avons fractionné en trois parties. On en trouvera donc plus loin à deux reprises une suite, restituant finalement l'intégralité de l'interview dans ce numéro.

b) Une alternative, face à une « crise actuelle de la sociologie française - ? Une nouvelle sociologie, plus proche des vraies réalités du terrain ? Tel est le point de vue développé dans un texte de Jean-René Loubat, interviewé par Remy Hess (texte reçu tardivement que nous nous excusons d'avoir dû, faute de place, amputer d'une partie fort importante de sa substance).

c) Une double révolution copernicienne en sociologie ? Tel est le point de vue que soutien, textes de Garfinkel en main, Jacqueline Signorini, reprenant une métaphore d'Emmanuel Kant dans sa préface à la seconde édition de "la critique de la raison pure".

d) Une anti-sociologie ? Un néo-populisme sociologique ? Une sorte de café du commerce de la sociologie, où Monsieur Tout, le Monde ne serait pas en situation d'infériorité face aux professionnels ? Nous avons retenu pour illustrer ce thème une seconde fraction de l'interview de Louis Quéré par Georges Lapassade, échange de propos dialogués où il s'avère que le point de vue néo-populiste est nettement défendu par Georges Lapassade à travers la formulation des questions qu'il pose, mais est contredit par Louis Quéré. Signalons aussi que, sur cette question d'un néo-populisme en sociologie, une prise de position très circonstanciée de Bernard Conein pourra être dans le présent numéro, à la fin de la section "Histoires et mythes fondateurs".

e) Une arme intellectuelle pour lutter contre de dangereuses rigidités conceptuelles héritées de la tradition platoniste ? II y a là une problémaique qui semble à première vue introduire une dimension populiste aussi, puisqu'elle propose une large diffusion de certains concepts ethnométhodotogiques en portant ceux-ci jusqu'au niveau même de l'enseignement secondaire. Mais, ce propos pourtant (dont Paul Loubière se fait ici le porte-parole) diffère complètement du précédent. Ce qui est contesté n'est plus la tradition sociologique héritée de Durkheim, mais bien la tradition platoniste. Paul Loubière, qui donne des cours dans des classes de philosophie du secondaire, pense que la notion d'indexicalité peut être enseignée et acquise à ce niveau, afin de contrebattre aussi tôt que possible le mythe d'un savoir nécessairement unifié, mythe que l'on trouve ensuite à l'origine de toutes les inquisitions et de toutes les intolérances.

f) Des enjeux épistémologiques au plan de la théorie sémiotique ? On ne doit pas oublier que les premiers lecteurs et commentateurs de Garfinkel en France avaient été, au départ principalement, des sémioticiens. Une contribution fort brillante et spirituelle de Robert Marty (reçue hélas tardivement, de sorte que faute de place nous n'avons retenu que la première partie) nous permet de renouer ici le fil de cette tradition.

g) La négation de tout enjeu ? L'indifférence ? Il ne nous a  pas paru possible de faire abstraction d'une hypothèse aussi importante, compte tenu notamment de l'ampleur des débats passés et présents autour de la notion "d'indifférence ethnométhodologique". N'ayant pas reçu de contributions sur ce sujet de "l'indifférence comme enjeu", nous avons rédigé nous-même un court développement de cette thématique ; où nous nous efforçons au passage de montrer que,  poussé à l'extrême, le "principe d'indifférence" conduit à exclure le raisonnement par induction, ouvrant la voie à une interprétation de l'ethnométhodologie en termes de "sociologie sans induction".