Pratiques de formation (analyses), Ethnométhodologies, ( Université de Paris VIII), 1985.

numéro spécial de la revue Pratiques de formation, numéro double 11-12.

Sommaire du numéro 11-12

Section 3

Histoires et Mythes fondateurs
 

3,0 PRESENTATION DU THEME
(par Yves Lecerf)

II est toujours instructif d'évoquer l'histoire du développement d'une discipline que l'on étudie, en même temps que le contenu de ce qu'elle enseigne comme vrai. Et dans le cas de l'ethnométhodologie qui recommande de restituer toute activité humaine dans le contexte de son élaboration, une telle réflexion historique s'impose tout particulièrement.

Mais il est clair aussi que, dans le cas de l'ethnométhodologie justement on n'essaiera pas de surévaluer la crédibilité "objective" d'un tel exercice. Dans la perspective de l'ethnométhodologie, un récit écrit après coup est, de toute manière, déjà une sorte de reconstruction "de seconde main", même s'il émane d'un acteur direct de ce qui est raconté, car le temps ayant passé, cet acteur direct n'est déjà plus le même individu. A fortiori, des contributions de personnes n'ayant pris connaissance qu'après coup des événements relatés seront considérées comme apportant vis-à-vis de ceux-ci une distance.

Ce que l'on peut attendre finalement de plus positif d'une section « histoire » de la présente revue, c'est la production, en 1986, en un certain lieu qui est Paris, d'une "racontabilité" adéquate au contexte de ce moment et de ce lieu. L'histoire n'a pas la date de ce qu'elle raconte, mais la date de l'instant où elle s'écrit.

Une racontabilité de l'ethnométhodologie à Paris en 1986 peut s'articuler autour de quelques questions, et de contributions que l'on a choisies pour y répondre.

a) Quelles sont les racines américaines de l'ethnométhodologie ? Une contribution de Benetta Jules-Rosette les situe dans un dialogue entre Parsons et Schutz, qui étaient précisément contemporains des premiers travaux de Garfinkel ; et de manière générale, dans la phénoménologie.

b) Mais les sources américaines de la pensée ethnométhodologique n'ont-elles pas elles-mêmes des sources européennes ? II y a une question d'un intérêt évident pour qui cherche à construire, à Paris, en 1986, une racontabilité de l'ethnométhodologie en termes de mythes fondateurs, essayant avant tout d'effacer les distances. II faut donc savoir gré à Joseph Sumpf d'avoir fait de la notion de « distance à effacer », le point de départ de cette contribution et de sa réponse à la question des sources européennes de la pensée ethnométhodologique.

c) Une contribution de Jean Widmer intitulée "Les années d'apprentissages de H. Garfinkel" nous fait passer des sources au coeur de l'action ; car nul n'ignore à quel point depuis environ trois décennies, l'histoire de l'ethnométhodologie a été étroitement liée à celle de son fondateur, H. Garfinkel. Jean Widmer nous en peint un tableau extrêmement vivant, documenté, coloré, qui a l'immense mérite aussi de portraitiser les principaux collaborateurs de Garfinkel, ainsi que ses amis et ses adversaires, en analysant les causes de ces rapprochements et de ces antagonismes.

d) Une contribution de Pierce Flynn sur "Les générations successives d'ethnométhodologues aux U.S.A." a le grand mérite d'apporter en peu de pages beaucoup d'informations, et de brosser un tableau très exhaustif des générations d'étudiants qui ont été orientés vers des études ethnométhodologiques par H. Garfinkel d'abord, puis par les premiers élèves de Garfinkel ensuite, lorsqu'à leur tour, ces élèves se sont mis à enseigner.

e) Quelques pages d'Alain Coulon évoquent utilement le rôle historique qui fut celui d'Aaron Cicourel dans le domaine de la critique des méthodes, numériques et statistiques en sciences humaines.

f) Mais l'ethnologie en France ? Il est clair enfin qu'une racontabilité française de l'ethnométhodologie peut difficilement être séparée des péripéties qui ont accompagné un immense et très récent mouvement d'intérêt des milieux de la recherche sociologique pour cette discipline. Bernard Conein qui a été par la qualité de ses écrits, un des principaux acteurs de ce mouvement, a bien voulu nous en dresser un tableau plein d'humour dans une contribution intitulée "l'ethnométhodologie en France ou le sociologue chez les autophages".