Les amis, puisque c’est comme cela qu’il faut vous appeler, d’autant plus que vous me considérez en toute "fraternité" comme l’un des vôtres.
Le temps se gâte, on dirait qu'il va pleuvoir, tous ces nuages qui s'amoncellent, cela ne présage rien de bon. Des éclairs et des tonnerres sont peut-être à prévoir.
Les amis, ce n'est pas que je m'impatiente, mais l'heure tourne, j'aimerais bien voir la prochaine étape du drôle de jeu de rôle avant la tempête et l'apparition des harpies.
Quel drôle d’époque quand même, après tout ce que vous avez vécu, nous revoilà au point de départ. « C’était la meilleure des époques, c’était la pire des époques », celle où l’on invite ses amis à discuter, où on leur tire dessus dès qu'ils se rapprochent, et que l'on achève ensuite à coups de questions sordides et de comportements obscènes.
J'en vois qui ne me comprennent toujours pas, il faut peut-être que j'utilise une image d'Epinal, ou bien le lexigramme usuel, ou tout simplement un rudiment de dessin. Entre nous, sachons rester simple. Je trace avec mes pieds trois cercles sur le sable, comme une progression concentrique à partir d'un même centre. Le premier cercle est sensé contenir l'objet de toute les convoitises, c'est la source des mystères, le lieu de création des simulacres et des artefacts qui sont ensuite diffusés vers le deuxième cercle.
Le deuxième cercle contient des zones pour des projets de recherche et d'application. C'est là où vous trouverez des groupes en exploration et en intervention, qu'ils soient pionniers ou en expédition importe peu. Ce qui compte c'est qu'ils prennent le temps nécessaire de l'observation sur le terrain et le recul pour une prospective à partir d’observations et d’analyses qui remontent du troisième cercle. Vous y trouverez aussi toutes sortes de contactés silencieux, d'effectifs opérationnels, de technologies hors normes et j'en passe.
Et enfin le troisième cercle, c'est là où vous êtes, dans le flot incessant des querelles et des jérémiades. C'est à dire très loin de toute espérance d'objectivation de ce qui se déroule dans les cercles précédents. Concrètement, vous n'avez accès qu'à ce que l'on veut bien vous faire voir, des rapports écrits, des manifestations physiques, des interactions psychiques, toutes sortes de contacts épars, comme le serait la danse d’événements ordinaires, non ordinaires, extraordinaires et incompréhensibles.
On ne peut pas faire plus simple comme analogie.
Alors dites-moi comment vous pouvez avoir la prétention d'expliquer ce qu'il se passe dans le premier cercle, alors que vous n'y avez aucun accès ? Vous n'êtes pas membre des zones intermédiaires et vous ne disposez que de simulacres rationnels qui ne constituent pas une preuve concrète, mais qui ne sont que des outils formels pour transmettre localement par le jeu de divers métalangages, toute sorte de procédures, de paradigmes, de protocoles interactionnels afin de préparer les prochains contacts.
Inutile de fulminer et de partir en vrille, je ne fais qu'évoquer la complexité sans nom de cette coexistence avec les autres sources dans les psychodrames de l'Oyagaa Western.
Ce qui m'étonne encore après tout ce temps, c'est votre acharnement à vous battre pour une vérité sur un lieu qu'aucun d'entre vous ne connait réellement. Bien entendu, vous avez le droit de croire ce qui vous chante, mais cette capacité de croyance ne vous dispense pas de suivre quelques règles de bienséance. Je croyais que nous étions entre gens civilisés même si beaucoup d'entre vous ont la gâchette facile.
Et là vous me direz que vous êtes libres de construire votre propre interprétation, d'élaborer vos propres raisonnements, de conjecturer, de supposer, de fantasmer, d'imaginer, d'analyser, à partir de matériaux dont personne d'entre vous ne connait la provenance exacte. C'est tout à fait raisonnable et parfaitement sensé comme attitude, mais ne dites pas ensuite que vous êtes objectifs lorsque vous vivez cette fameuse contradiction entre ce qui est mis en perspective dans ces mêmes matériaux et vos spéculations dans ce que vous pensez être une recherche rigoureuse vers la manifestation de la vérité. Voilà un paradoxe bien étrange de la part des fanatiques de la chose écrite, incapable de suivre les principes dont ils se prétendent expert.
Je m'égare un peu, je ne suis pas là pour faire des recommandations, cependant je pense que des conseils ne feraient pas de mal à quelques bonimenteurs en mal de reconnaissance. Prenons deux exemples pour commencer.
Le coffre au trésor : une monumentale bâtisse contenait un trésor reparti dans différents coffres, comme le serait une réserve d'or d'une puissante nation. Le contenu des salles du trésor était mystérieux, provocant sans cesse rumeurs et polémiques au sein des communautés de citoyens intrigués. Des émissaires furent envoyés pour constater qu'il y avait de l'or et non un stock de mensonges. Par mesure de sécurité et pour préserver la souveraineté du grand trésorier, le constat ne pouvait se faire que sur une salle, avec une porte ouverte sur un échantillon bien défini. Là encore, cela ne calma pas les curieux qui ne pouvaient pas vérifier au-delà de qui leur était permis. Le trésorier ne pouvait pas faire confiance à de simples émissaires, il fallait qu'il préserve les secrets de la réserve. Les émissaires ne pouvait pas non plus faire confiance au trésorier car il refusait d'ouvrir les portes qui pouvaient cacher un secret. Moralité, rien ne se sert de lever le voile sur tous les aspects d'un mystère. Il y aura toujours un désir attisé par la curiosité, cette volonté d'atteindre le même niveau de connaissance que le gardien du temple. Lorsque la confiance mutuelle est brisée, il devient impossible de contenter les curieux et les fanatiques du besoin d'en connaitre.
L'expert en manuscrit : un expert en documents rares et autres manuscrits précieux, en parlant de son travail, fit cette confidence sous forme de boutade : « Si je découvrais un manuscrit et que son auteur toujours vivant me disait que c'est un faux, alors je le croirais. Si je découvrais un manuscrit rare et que son auteur n'est plus, je me fierais à mon intuition et mon expertise. Si je découvrais un manuscrit dont l'auteur préfère rester anonyme, se jouant ainsi de moi et défiant mon art, alors je ne préfèrerais pas l'étudier même s'il est digne d'intérêt. J'aurais trop peur de me perdre moi-même car je ne peux pas faire autrement que de baser toute ma recherche sur des certitudes.» Voilà donc l'objet de la tourmente pour cet expert, être incapable de distinguer le vrai du faux, surtout lorsque l'auteur du manuscrit ne joue pas aux mêmes règles que l'expert. On peut se poser cette question, le support papier et la signature sont-ils plus important que ce qui est dit ? L'auteur du document précieux n'aurait-il pas la capacité de transformer son travail pour contrarier l'archiviste qui ne se donnerait plus la peine de lire entre les lignes et de dépasser la forme et les illusions de la forme ?
On peut naturellement se poser d'autres questions. Qu'est-ce qui fonde une preuve ? Comment parvenir à saisir la preuve si on est incapable de la définir et de la circonscrire ? Quelles peuvent en être les catégories si elles varient selon les manières d'être et les manières de faire ? L'intime conviction est-telle suffisante ? Ce sont là les angoisses de tout chercheur de vérité. Quelles sont les problématiques et les solutions pour y faire face ? Existe-t-il un moyen pour contrebalancer une pensée paranoïaque et totalisante qui ne souhaite pas dialoguer sur ses propres fondements et ses contradictions mais seulement construire des dogmes ? N'est-ce pas là un premier biais de confirmation, cette absence d'humilité, cette prétention à détenir la vérité et de l'imposer par la force ? Je suis persuadé que vous reconnaitrez immédiatement parmi vous les zélateurs qui ne sont pas capables de suivre les recommandations énumérées dans le corpus dont ils revendiquent la maitrise.
J'en vois encore qui se préparent à dégainer, il fallait s'y attendre, la horde sauvage suit les prévisions. J'aurais tellement aimé voir autre chose. C'est la vie, la réalité me contredit, chassez le naturel et il revient au galop. Vous savez que j'adorerais être surpris et voir émerger l'inattendu de ce chaos informe des irrésolutions et des déceptions.
Apres cela on va dire que je fais encore des mystères et que je complote dans mon coin sans rien savoir. Je vous arrête tout de suite. Ce n'est pas à moi que l'on va dire que je ne sais pas ce qu'il se passe, alors que j'ai fait l'effort de donner en coulisse des éléments de compréhension. J'ai vu les comportements aberrants de ceux qui ne voulaient pas réfléchir, qui avaient tout simplement peur et dont l'esprit vacillait sous le poids d'une émotion intense. J'ai vu les gestes infâmes de ceux qui croyaient savoir, toujours prêt à résoudre des énigmes mais qui tout en étant proche d'un semblant de contact, étaient les premiers à provoquer toute sortes de calamités pour justifier leur dérobade, incapables qu'ils étaient de maintenir dans la durée un comportement équilibré et digne.
Ce n'est pas non plus à moi que l'on va dire que des "prétendus experts" en savaient long, alors qu'ils étaient véritablement ignorants, incapables d'ouvrir les yeux ou d'écouter sans apriori lorsque l'on essayait de dialoguer avec eux. Quelles types de preuves voulez-vous, celles qui vous rassurent et vous apaisent ou celles qui vous mettent en transe ? Là encore, on peut sortir le lapin du chapeau et rejouer le spectacle avec les marionnettes.
Autre curiosité, vous ne savez plus à quelle main vous fier, la main gauche ou la main droite ? Il y en aura toujours pour mordre la main qui nourrit, c'est d'autant plus risible que les mordants sont prêt à rechercher de la nourriture vers l'autre main, faisant l'aller-retour d'une main à l'autre selon des regroupements pas affinités et par croyances. Je ne vais pas vous l'apprendre, vous l'avez vu par vous-même, dans cette mise en bouche, le drôle de jeu de rôle ne devient qu'un moyen de révélation et non une fin en soi.
Pardonnez-moi, je commence à montrer des signes de lassitude, mais force est de reconnaitre que l'on m'incite à interférer ou à élucider des psychodrames à répétition dans le troisième cercle. Que cela soit justifié ou non, que cela provienne des cercles insondables et innommables, que cela en vaille la peine ou non, il y a un moment ou cela ressemble à une boucle temporelle. Vous connaissez déjà la fable du petit oiseau, alors je vais revenir sur d'autres belles paroles. Le monde se divise en 3 catégories : ceux qui comprennent instinctivement, ceux qui comprennent par un travail acharné et une remise en question permanente, et ceux qui se perdent dans leur propre incohérence.
Mes véritables amis me disent souvent que je verse un peu dans le romantisme, à attendre quelques prodiges humains. J'aimerais tellement les convaincre que ce miracle est possible. Ceci dit, je ne vous demande pas de me faire confiance, ni même de me croire. Méfiez-vous des certitudes car tout peut arriver dans l'Oyagaa Western. Il suffit d'ouvrir les yeux et de ne pas avoir peur, sinon il ne restera que des légendes racontées par d'autres.
Comme cela a déjà été dit, si la réalité du drôle de jeu de rôle est une expérience non ordinaire avec des laborantins qui tirent des ficelles et des cobayes qui ne savent plus ou donner de la tête, alors les défis personnels restent nombreux. Comme par exemple, faire face à la horde sauvage et aux cohortes en perdition, pour dépasser sa condition de spectateur des désastres à venir. Ne le faites surtout pas parce que je vous le demande, faites le avant tout pour vous-mêmes.
Il y a tant de merveilleuses choses qui restent à voir. « Salvate vos ex Infernis ».
« Essaye de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient, nous autres de l’ancienne génération. Même si tu t’en moques, même avec ta fantaisie habituelle, nous t’en serons reconnaissants. Au fond, nous étions des sentimentaux. En ce temps, l’Ouest était désert, immense, sans frontière. On croyait tout résoudre, face à face, d’un coup de révolver. Puis, tu es arrivé et il est devenu petit, grouillant, encombré de gens qui ne peuvent plus s’éviter… Mais souviens toi que si tu peux encore te promener en attrapant des mouches, c’est parce qu’il y a eu des hommes comme moi, des hommes qui finissent dans les livres d’histoire, pour inspirer ceux qui ont besoin de croire en quelque chose… A propos j'ai trouvé la morale à la fable que ton grand-père te racontait, celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croqué. C'est la morale des temps nouveaux : ceux qui te foutent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur et ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur. Mais surtout ceci : quand tu es dans la merde : tais toi ! » Extrait de la lettre de Jack Beauregard destinée à Personne.