Des aveugles autour du cadran céleste

 

Confronté à la problématique de l'analogie et à la description de l'innommable, les grands singes savants et les singes goguenards se réunissent autour du cadran céleste pour comprendre le mystère de la synchronicité lors d'interférences non triviales avec l'inconnu. Cependant, ils ne sont toujours pas capables de regarder en face le cadran céleste de peur de devenir fou ou de se perdre dans les méandres de l'ignorance. Ils se comportent comme des aveugles.

Pour y remédier, ils utilisent des morceaux de miroirs afin de refléter des images lointaines et recomposer à travers différentes réflexion une représentation de ce qu'ils ne peuvent pas appréhender directement. Hélas pour eux, l'image recomposée de part et d'autre reste incompréhensible. A travers tous les prismes disparates, les sauts, les chutes et les rebondissements, ils n'observent qu'une forme nuageuse constellée de symboles, de fulgurances et de polychromies.

Ils s'interrogent, s'invectivent, se chahutent dans un paysage créé à leur image, un environnement éloigné des contingences dialectiques, un endroit au sol instable et fluctuant selon les péroraisons des tribuns. Les séismes y sont nombreux et il arrive que des aveugles se fassent engloutir dans des sables mouvants alors que d'autres se perdent dans des fosses marécageuses.

Les plus astucieux et espiègles d'entre eux parviennent à survivre sans difficulté dans ces zones insolites, entrainant avec eux la cohorte des aveugles. Ce n'est pas avec la raison qu'ils y parviennent mais par un instinct de survie exacerbé. Lorsque la peur de l'inconnu dépasse ce qu'ils peuvent supporter, ils contemplent en silence la fresque historique des différentes rencontres avec l'indicible ; tandis que les autres derrière le prétexte de la déficience et de la prudence, affichent fièrement leur refus de parcourir les contrés hors du sanctuaire, préférant les territoires connus et les parcelles déjà piétinées.

Loin du pyrrhonisme de façade, répugnant l'incertitude, les aveugles préfèrent se recroqueviller, et à la mesure de l'inconfort s'enfermer dans de providentielles certitudes. On pourrait presque dire d'eux qu'ils ne parviennent pas à sortir de leur zone de confort, préférant vivre l'enclave platonique des trous dans le sol et des cavernes préhistoriques.

Au fil des saisons et des intempéries, au grès des précipitations et des tempêtes, ils entretiennent le flux des variétés déclamatoires et des boursouflures hyperboliques. En cas de marasmes et pour conjurer le vide laissé par le silence, ils s'échangent des images d'Epinal dans la confusion des querelles des prétendants

C'est ainsi qu'ils finissent par se lasser des jeux de miroirs, durant cet effondrement survenant par cycle, chacun d'eux aperçoit son voisin différemment, dans la décohérence et l'affirmation de soi, ils se comportent alors comme des marionnettes s'agitant autour d'autres marionnettes.

Pour se rassurer, ils se passent de main en main des formes disparates composées d'artefacts et d'autres simulacres rationnels, mais les querelles finissent par l'emporter sur le bon sens et le sens commun. Ils s'obstinent à se faire la guerre les yeux ouverts grands fermés. Dès lors trois clans se forment : le clan des aveugles, le clan des 7 vieillards et le clan des petites veilles.

Toujours rassemblés en spirale autour du cadran céleste, ils s'éparpillent selon les 4 points cardinaux pour danser et chanter en suivant la cadence du compte à rebours avant minuit. Ils font des acrobaties et des jongleries en tournant autour d'un foyer invisible, ce centre d'attraction magique et lieu d'invocation propice aux prières secrètes.

Ce qu'ils veulent tous, c'est attirer vers eux l'oiseau brillant qui vole dans le ciel. Ils attendent et espèrent que cette créature fantasque aux grandes ailes déployées, les sorte des rêveries et des chimères, afin de les orienter selon les indications du cadran vers le centre du labyrinthe.

En attendant que ce miracle arrive, ils font des calculs à n'en plus finir, des énumérations symboliques, digitales et numériques. Ils regardent le ciel immense, comparent les représentations et les langages, en regrettant de ne pas être prescients. Toujours en recherche d'un signe céleste, ils scrutent autour d'eux et se lamentent sur les interprétations possibles des épicycles de Seth.

Parvenus aux limites des perceptions, ils préfèrent parler au lieu d'agir, et épuisent leur vie en essayant de la comprendre. Ils ne sont toujours pas capable d'accepter pour eux-mêmes cette singulière conjonction, ni à vivre l'événement singulier au moment opportun pour s'affranchir de cet inconnaissable à l'horizon.

Croire ou ne pas croire, telle est la question qui se pose dans les 3 clans, et où il s'y joue des querelles sans fondements pour la prétention à la vérité, cette lutte à mort pour influencer et légitimer. Ces clans rivalisent d'indignité et de méchanceté pour expliquer l'origine des apparitions et des projections de la forme innommable. Ce faisant ils réalisent la prophétie de la tragicomédie, par leurs comportements insensés ils empêchent l'oiseau fantasque de se poser et ne font que démontrer l'impossibilité d'un dialogue franc, sincère et ouvert.

Ils devront pour un temps se contenter des indirections, des jeux de miroirs et de la valse des marionnettistes, car la vérité est toute simple : ils se savent pas, ils ne peuvent pas savoir et ils n'ont aucun moyen de savoir. Dommage qu'ils soient si autolâtres, si sourds et si aveugles, ils ont oublié qu'ils étaient dans le drôle de jeu de rôle.

 


UN DRAME COSMIQUE. Extrait du spectacle et l'envers du décor.

Pièce sonore et lumineuse d’après Maurice Maeterlinck, interprétation libre de Tom Huet.

 

«Essayer de parler de ces choses si évidentes à sentir mais si difficiles à transmettre. Pièce sans acteur pour drame sans action. Perdu, sur une île, un groupe d’aveugles se réveille et attend désespérément le retour de leur guide. Cette attente tragique est rythmée par le réveil des forces de la nature. La mer, le vent, les oiseaux prennent une place égale à celle de l’individu. Importance du cosmos et de la mort au-delà de la psychologie. L’atmosphère nous en dit plus que les personnages.»


Les aveugles, Charles Baudelaire


Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;
Terribles, singuliers comme les somnambules,
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. Ô cité !
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,
Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?


Les sept vieillards, Charles Baudelaire


A Victor Hugo

Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.

Un matin, cependant que dans la triste rue
Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,
Simulaient les deux quais d'une rivière accrue,
Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur,

Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace,
Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros
Et discutant avec mon âme déjà lasse,
Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.

Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes,
Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,
Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée
Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,
Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,
Se projetait, pareille à celle de Judas.

Il n'était pas voûté, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Si bien que son bâton, parachevant sa mine,
Lui donnait la tournure et le pas maladroit

D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes.
Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant,
Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,
Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.

Son pareil le suivait : barbe, œil, dos, bâton, loques,
Nul trait ne distinguait, du même enfer venu,
Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.

A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait !

Que celui-là qui rit de mon inquiétude,
Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel,
Songe bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel !

Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième.
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ?
- Mais je tournai le dos au cortège infernal.

Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l'absurdité !

Vainement ma raison voulait prendre la barre ;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !


Les petites vieilles, Charles Baudelaire


A Victor Hugo

I

Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements,
Je guette, obéissant à mes humeurs fatales
Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes,
Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus
Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes.
Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques,
Frémissant au fracas roulant des omnibus,
Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques,
Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ;
Se traînent, comme font les animaux blessés,
Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes
Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille,
Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ;
Ils ont les yeux divins de la petite fille
Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles
Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ?
La Mort savante met dans ces bières pareilles
Un symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile
Traversant de Paris le fourmillant tableau,
Il me semble toujours que cet être fragile
S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;

A moins que, méditant sur la géométrie,
Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords,
Combien de fois il faut que l'ouvrier varie
La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.

- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes,
Des creusets qu'un métal refroidi pailleta...
Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes
Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II

De Frascati défunt Vestale enamourée ;
Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur
Enterré sait le nom ; célèbre évaporée
Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles
Il en est qui, faisant de la douleur un miel
Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes :
Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !

L'une, par sa patrie au malheur exercée,
L'autre, que son époux surchargea de douleurs,
L'autre, par son enfant Madone transpercée,
Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !

III

Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles !
Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant
Ensanglante le ciel de blessures vermeilles,
Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre,
Dont les soldats parfois inondent nos jardins,
Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre,
Versent quelque héroïsme au cœur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle,
Humait avidement ce chant vif et guerrier ;
Son oeil parfois s'ouvrait comme l'œil d'un vieil aigle ;
Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !

IV

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,
A travers le chaos des vivantes cités,
Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes,
Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,
Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil
Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ;
Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées,
Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ;
Et nul ne vous salue, étranges destinées !
Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,
L'œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,
Tout comme si j'étais votre père, ô merveille !
Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :

Je vois s'épanouir vos passions novices ;
Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ;
Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices !
Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères !
Je vous fais chaque soir un solennel adieu !
Où serez-vous demain, Èves octogénaires,
Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?


L'Oiseau bleu de Maeterlinck au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers, 1988

 

 

Voir derrière les apparences _ article tiré de critiqueslibres.com

Tyltyl et Mytyl sont frère et sœurs, deux enfants issus d'une famille pauvre à la campagne, approchés par la fée Bérylune qui leur demande de ramener l'oiseau bleu, indispensable pour la guérison de sa fille malade. Pour les aider dans leur quête, la fée confie aux enfants un précieux diamant qui permet de voir l'âme des objets, de se promener dans le pays du souvenirs et de l'avenir. Longue quête qui passe par différents mondes, autant d'univers parallèles destinés à apprendre des leçons de vie aux enfants. A la fin, les enfants pensent avoir rêvé, il ne s'est rien passé de ce qu'ils racontent à leurs parents, ils pensent être partis une année entière alors que la maman leur explique qu'ils se sont paisiblement endormis la veille et que le matin vient de se lever. Rêve ou réalité?

Ce n'est sans doute pas là le plus important.
Cette pièce de théâtre, difficilement adaptable à cause de son côté surréaliste et métaphorique (le cinéma s'y est essayé mais je suis peu convaincue par le résultat), importe avant tout par le message philosophique qu'elle recèle.
Le texte peut se lire comme un joli conte, première lecture primaire qui raconte un joli rêve enfantin et ne va pas plus loin. Cela serait tellement insatisfaisant, même si la tentation du silence peut être grande face à une telle beauté de prose théâtrale. Un peu comme devant un paysage grandiose, les mots sont inutiles.
Le contenu philosophique de "L'Oiseau bleu" est cependant trop grand pour être réduit au mutisme.
Cet oiseau tant recherché n'est qu'un leurre, un animal après lequel courent deux enfants naïfs et volontaires et qui, toujours, leur échappera. Il doit soi-disant "révéler le grand secret des choses et du bonheur", il demeure insaisissable et cause de profondes tristesses chez Tyltyl, courageux petit garçon qui affronte tous les dangers avec beaucoup d'espoir.
Cet oiseau n'est qu'un prétexte pour faire progresser les enfants (et nous) sur le chemin de la vie. Nous promenant de monde en monde, nous découvrons à chaque fois un nouveau mystère de la vie. Nous apprenons à voir, à écouter, à parler et surtout, à réfléchir au-delà des apparences.
Grâce à leur diamant magique, les enfants explorent les diverses faces du monde, notamment celui de l'âme des choses. Ces objets inanimés pourtant doués d'une âme si chère à Lamartine. Au fil de leurs pérégrinations, on s'aperçoit que ce qui compte, ce n'est pas tant l'oiseau bleu qui compte que les vérités qu'il nous permet d'approcher.
Ce thème de l'âme du monde est précieux aux yeux de Maeterlinck mais également à ceux d'autres auteurs et philosophes. C'est le principe même de l'animation de l'ensemble de la Création. Chaque objet, chaque création possède une âme, ces âmes jointes les unes aux autres formant un vaste ensemble intelligent et coordonné.
La révélation de cette âme permet de constater que les objets et les animaux n'aiment pas ou peu les hommes, car ceux-ci ont oublié le grand principe de hiérarchie solidaire entre les entités au profit d'une hiérarchie de domination et de profit. L'animal est tué et mangé, l'objet utilisé sans aucune considération, l'Homme est vil, la perception de l'âme des choses offerte par le diamant permet de s'en rendre compte.

Autre thème qui m'a beaucoup touchée, c'est celui de la mort et du sort des défunts ailleurs et dans nos têtes. En lisant "L'Oiseau bleu", on constate que la mort n'existe pas, si ce n'est dans nos têtes. Il existe une continuité entre le monde des vivants et celui des morts, ces derniers n'étant d'ailleurs des morts qu'aux yeux des vivants! C'est un passage, une étape et le souvenir des morts dans l'esprit des vivants permet à l'autre monde de vivre et de respirer en parfaite harmonie.

"L'Oiseau bleu" est à lire au moins deux fois, à mon avis, pour mieux apprécier les subtilités qui se dégagent du texte et de pousser la réflexion le plus loin possible, nous faisant nous interroger sur nous-mêmes et sur la vie. Histoire de se rendre compte que tout n'est que question de regard et de perception et qu'en changeant, même un brin, notre manière de voir les choses, le monde est différent. Complètement.


L'autre monde ou le cadran stellaire de Maurice Maeterlinck , 1942

Notice établie par DECITRE, libraire : Dans cet ouvrage exceptionnel, Maurice Maeterlinck nous expose ses pensées philosophiques intimes qui tournent autour de Dieu, de l'Infinité et de l'Eternité, du Néant et des autres mondes, des destinées humaines, de l'Inconnaissable, de la vie d'avant la Naissance ou au-dessous de la raison ou de la conscience pratique et quotidienne, du bonheur et du malheur, et en général de ce que l'on ne dit pas, de ce que l'on ne pense pas tous les jours...

(extraits)

«Il m’a semblé que dans les meilleurs romans , on rencontre des pensées qui appellent l’attention mais sont noyées dans le flot des récits relatant des évènements sans grand intérêt, parce qu’ils sont presque toujours les mêmes depuis la naissance du théâtre et des livres . Négligeant le récit que j’aurais pu faire, je vous présente les réflexions qui en seraient- probablement nées, nues et sans sentiments empruntés, puisque vous n’avez pas de temps à perdre.
Elles ont du moins l’avantage de ne pas s’attarder à des incidents malpropres, futiles ou misérables. Elles posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses . Mais il faut se dire que si elles parvenaient à résoudre un seul des problèmes qu’elles soulèvent, l’univers n’aurait plus de secret ; en effet tout se tient, et une solution sur un point essentiel anéantirait tous nos doutes .

Assurément elles vous apprendront peu de choses, mais éveilleront peut-être votre attention sur beaucoup d’autres . Il n’est pas mauvais d’agiter parfois les récipients endormis de l’esprit.
Elles se présentent sans ordre, telles qu’elles naissaient des hasards de la rêverie ou de l’entrechoc des idées . Elles frôlent les contradictions et les redites ; mais contradictions et redites attestent l’honnêteté, la sincérité , et parfois aussi le flottement de la pensée.
Il eut été facile de les grouper plus méthodiquement, mais une classification trop rigoureuse engendre la monotonie, rebute le lecteur et sent le pédantisme. J’accorde que j’eusse pu sarcler plus soigneusement l’humble jardin ; mais j’ai bien des fois constaté dans mes divertissements horticoles qu’à trop sarcler on enlève autant de promesses de fleurs que de mauvaises herbes, de sorte qu’en fin de compte il ne reste presque rien et qu’un silence préliminaire, total et sans prétentions eut été préférable.

Henry Bidou, le plus pénétrant et le plus érudit des critiques français, parlant de mon dernier livre, la grande porte, qui est aussi et avant tout une quête du divin, disait dans le journal des débats :
« L’auteur entrevoit au fond de sa conscience, un Dieu plus grand et ne parait pas craindre l’objection qui vient aussitôt, que ce dieu serait une création de son esprit »
Evidemment , ce serait une création de mon esprit. Comment serait-elle autre chose ? Elle ne serait acceptable que si elle était meilleure que les autres.. A moi de la tenter, à vous de la choisir ou de l’améliorer. Nous n’avons aucune raison d’espérer que cette création nous vienne du dehors.
« Mais reprend Henry Bidou, comment définir ces problèmes autrement que par les moyens de la raison ? A quoi l’on peut répondre que depuis plus d’un demi-siècle l’univers s’est révélé si prodigieusement inhumain , par sa structure, par son étendue, par ses lois entrevues, que la raison a perdu beaucoup de son crédit comme principe d’explication universelle. De cela Maeterlinck, malgré l’exploration qu’il a faite des domaines les plus lointains de la science, ne parait pas se préoccuper. Il a encore confiance dans les vieilles armes de l’esprit pour maitriser l’univers ; et à peu de choses près, tout son livre pourrait être écrit par un humaniste du seizième siècle. »

«A tant faire que de choisir une religion nouvelle, pourquoi ne pas prendre le Védisme, qu’il ne faut pas confondre avec le brahmanisme et le bouddhisme. Le brahmanisme n’est que le védisme corrompu par les prêtres, le bouddhisme ,le même védisme désaxé par un homme ou un fou de génie.
Or le védisme, la plus ancienne de toutes les religions connues, proclame que l’homme, tant qu’il vivra , ne saura rien et que Dieu même ne sait pas ce qu’il est.
C’est l’agnosticisme absolu ; et cet aveu de l’ignorance totale et irrémédiable, sur tous les points essentiels de la vie et des destinées humaines, ne sera jamais accepté que par une élite qui voit plus loin que l’ignorance. Il ne saurait devenir la religion de ceux qui croient que l’aveu d’ignorance est l’aveu du néant.
En attendant donnons à l’inconnaissable (car c’est toujours de lui qu’il s’agit dans les questions religieuses) un nom et un visage sympathiques et déjà éprouvés, préférables à l’aspect dur et sec d’une abstraction morte. Toutes les religions n’ont pas fait autre chose ; et jusqu’ici il faut bien l’avouer, le christianisme excepté, leur choix fut assez malheureux.
Quant à l’inconnaissable, notre paresse intellectuelle nous conseille de ne pas nous en occuper, puisqu’il est entendu que nous ne le connaitrons jamais. C’est possible, mais peu probable. Le mot « inconnaissable » n’est qu’un masque dont nous affublons notre ignorance provisoire. Toute la route de notre avenir s’étend du connu à l’inconnu et de l’inconnu à l’inconnaissable, ce n’est pas ailleurs que nous trouverons nos progrès et nos bonheurs humains. Et c’est en la suivant jusqu’au bout que nous deviendrions hommes.»


Les Quatre Vents de l’esprit, Victor Hugo

 

Chanson - 1 (Les Quatre vents de l’esprit)

J’aime à me figurer, de longs voiles couvertes,
Des vierges qui s’en vont chantant dans les chemins
Et qui sortent d’un temple avec des palmes vertes
Aux mains ;

Un rêve qui me plaît dans mes heures moroses,
C’est un groupe d’enfants dansant dans l’ombre en rond,
Joyeux, avec le rire à la bouche et des roses
Au front !

Un rêve qui m’enchante encore et qui me charme,
C’est une douce fille à l’âge radieux
Qui, sans savoir pourquoi, songe avec une larme
Aux yeux ;

Une autre vision, belle entre les plus belles,
C’est Jeanne et Marguerite, astres, vous les voyez !
Qui, le soir, dans les prés courent avec des ailes
Aux pieds !

Mais des rêves dont j’ai la pensée occupée,
Celui qui pour mon âme a le plus de douceur,
C’est un tyran qui râle avec un coup d’épée
Au cœur !

Bruxelles, 23 avril 1852.

 

Je vis les quatre vents passer

Je vis les quatre vents passer.
— Ô vents, leur dis-je,
Vents des cieux ! Croyez-vous avoir seuls un quadrige ?
Autans ! Masques hagards, tumultueux démons,
Croyez-vous pouvoir seuls aller des mers aux monts ?
Croyez-vous seuls pouvoir quitter pour la montagne
Les vagues que l'écume éternelle accompagne,
Fuir, puis, d'un coup de tête effrayant, revenir
À l'ombre où l'on entend ces cavales hennir,
Et vous en retourner soudain, brusques méduses,
Aux cimes dans l'aurore éclatante diffuses,
Et de là crier Gloire ! Aux quatre coins du ciel ?
Ces allures d'éclair, ce vol torrentiel,
L'esprit humain les a comme vous, vents tragiques ;
Comme vous le printemps, il a ses géorgiques ;
Il est l'âcre Archiloque et le Hamlet amer ;
Il gonfle l'Iliade ainsi que vous la mer.
L'homme peut de l'abîme effarer la prunelle.
L'âme a comme le ciel quatre souffles en elle ;
L'âme a ses pôles ; l'âme a ses points cardinaux.
Vents ! Dragons qui sur nous tordez vos bleus anneaux,
Et qui vous dispersez avec tant de furie
Depuis le hurlement jusqu'à la rêverie,
L'esprit humain n'est pas moins aquilon que vous.
Comme vous il est vie, amour, joie et courroux.

Ses strophes ne sont pas plus vite exténuées
Dans leur vol à travers l'azur que vos nuées ;
Un vers court par-dessus les tours et les remparts
Mieux que l'errante bise aux longs cheveux épars ;
Et le poète, ouvrant ses intègres registres,
Ne met pas plus de temps que vous, ô vents sinistres,
Pour essuyer sa bouche et changer de clairon.
Comme vous sur la peste, il souffle sur Néron ;
Il parle bas aux saints pensifs au fond des grottes ;
Il donne une attitude inquiète aux despotes ;
La pensée est un aigle à quatre ailes, qui va
Du gouffre où Noé flotte à l'île où Jean rêva ;
Et chacun de ses grands ailerons, Épopée,
Drame, Ode, Ïambe ardent, coupe comme l'épée.
Le génie a sur lui, dans sa guerre aux fléaux,
Toute l'éclaboussure affreuse du chaos,
Écume, fange, sang, bave, et pas une tache.
Il est un et divers. L'idéal se rattache
Comme une croix immense aux quatre angles des cieux.
Le grand char de l'Esprit roule sur quatre essieux.
Notre âme comme vous, ô vents, groupe sonore,
A son nord, son midi, son couchant, son aurore ;
Car c'est par la clarté qu'en ce monde âpre et beau
L'homme finit, son aube étant dans le tombeau.
Le poète est pasteur, juge, prophète, apôtre ;
En quatre pas, il peut aller d'un bout à l'autre
De l'art sublime, ainsi que vous de l'horizon ;
Et comme vous, s'il est terrible, il a raison ;
Sa sagesse et la vôtre ont un air de délire.
L'ombre a tout l'ouragan, l'âme a toute la lyre.

3 juin 1870.


Chanson des quatre vents


Une des plus anciennes littératures de l'Égypte, à l'âge des Pyramides. Les experts conjecturent sur les modalités et le contexte de leur utilisation. Chants d'amour en vue de concerts vocaux ou thème pour des danses acrobatiques. Traduction française par Etienne Drioton publiée dans La Revue du Caire no 44, juillet 1942.


On m'a donné ces vents, disent ces jeunes filles.
Voici le vent du Nord, qui enveloppe la Mer Égée,
Qui étend ses bras jusqu'aux extrémités de l'Égypte,
Qui se couche après avoir amené le plaisir de son ami, chaque jour.

C'est le vent de vie que le vent du Nord,
On me l'a donné et je vis de lui.

On m'a donné ces vents, disent ces jeunes filles.
Voici le vent de l'Est, qui ouvre les lucarnes du ciel,
Qui lâche les souffle de l'Orient,
Qui fait un bon chemin à Rê, quand celui-ci sort avec lui.

Rê saisit ma main :
Il me met dans sa campagne qui est au milieu des Souchets.
Je mange comme Apis, je me régale comme Seth.

C'est le vent de vie que le vent de l'Est,
On me l'a donné et je vis de lui.

On m'a donné. ces vents, disent ces jeunes filles.
Voici le vent d'Ouest, frère de Ha, rejeton d'laaou,
Qui vivait dans le ventre de l' Unique,
Avant que deux royaumes ne se produisent dans ce pays.

C'est le vent de vie que le vent d'Ouest,
On me l'a donné et je vis de lui.

On m'a donné. ces vents, disent ces jeunes filles.
Voici le vent du Sud, qui souffle en nègre du Midi,
Qui amène l'eau qui fait germer la vie.

C'est le vent de vie que le vent du Sud,
On me l'a donné et je vis de lui.

- Salut à vous, ô ces quatre vents du ciel !
Dis-moi ton nom et le nom de celui qui te les a donnés,
Faites-moi connaître ton droit d'ainesse.

- Je me suis produit avant que les hommes ne naquissent,
Avant que les dieux ne se produisissent,

Avant que l'oiseau ne fût pris au piège,
Avant que le taureau ne fût pris au lasso,

Avant que les cuisse de Matret , la fille du Grand Dieu, ne fussent étreintes,
Avant que le désir de l'Ancien, seigneur du ciel et seigneur de la terre, ne fût satisfait.
Je les ai demandés au Maître des Vents:
C'est lui qui me les a donnés.

- Viens, accompagne-moi !
Je te ferai voir mon bateau
Tu y descendras !

- Non, je me sers de mon propre bateau,
Dans lequel je me rends au port.
J'y prends un bateau de mille coudées de bout en bout,
Dans lequel je vogue jusqu'a l'Escalier de Feu.

- Mes galettes sont hors de nombre.


Vision de Quatre Chars et de Chevaux

Livre de Zacharie, chapitre 6, versets 1 à 8:

« Je levai de nouveau les yeux et je regardai, et voici, quatre chars sortaient d'entre deux montagnes; et les montagnes étaient des montagnes d'airain. Au premier char il y avait des chevaux roux, au second char des chevaux noirs, au troisième char des chevaux blancs, et au quatrième char des chevaux tachetés, rouges. Je pris la parole et je dis à l'ange qui parlait avec moi: Qu'est-ce, mon seigneur? L'ange me répondit: Ce sont les quatre vents des cieux, qui sortent du lieu où ils se tenaient devant le Seigneur de toute la terre. Les chevaux noirs attelés à l'un des chars se dirigent vers le pays du septentrion, et les blancs vont après eux; les tachetés se dirigent vers le pays du midi. Les rouges sortent et demandent à aller parcourir la terre. L'ange leur dit: Allez, parcourez la terre! Et ils parcoururent la terre. Il m'appela, et il me dit: Vois, ceux qui se dirigent vers le pays du septentrion font reposer ma colère sur le pays du septentrion. »
 


Les aveugles de Maurice Maeterlinck. Mise en scène de Denis Marleau

 

Un théâtre d’acteurs vidéographiques : Les aveugles de Denis Marleau
Devant le noir, l’éternelle inquiétude : Les Aveugles


  L' oiseau bleu : Le monde des illusions.

 


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